TL;DR

  • Plusieurs théoriciens clés (Klein, Chomsky, Cutler, Bickerton, Tattersall, Mithen, Coolidge & Wynn) soutiennent l’idée d’une “Révolution Cognitive” relativement soudaine et biologiquement motivée chez Homo sapiens il y a environ 50 000 ans.
  • Cette révolution se caractérise par l’apparition de comportements modernes tels que l’art complexe, les artefacts symboliques, les outils sophistiqués et le langage/la pensée avancés.
  • Les déclencheurs biologiques proposés varient : mutations génétiques spécifiques (Klein), émergence de la syntaxe récursive/faculté de langage (Chomsky, Bickerton), potentiel symbolique latent activé par la culture/le langage (Tattersall), intégration de domaines cognitifs auparavant séparés (“fluidité cognitive”) (Mithen), ou mémoire de travail améliorée (Coolidge & Wynn).
  • Bien qu’ils convergent sur un changement cognitif rapide et tardif, ces théories divergent sur les mécanismes spécifiques et le moment précis, faisant face à des critiques de modèles gradualistes mettant l’accent sur une accumulation culturelle plus lente, en particulier en Afrique.

Révolution Cognitive au Paléolithique Supérieur : Théoriciens et Théories Clés#

Introduction

Il y a environ 50 000 ans (au Paléolithique supérieur), l’humanité a connu une “explosion créative” – des poussées soudaines dans l’art, les artefacts symboliques, les outils sophistiqués et peut-être le langage. Certains chercheurs soutiennent que cela reflète une révolution cognitive biologiquement motivée : un changement évolutif dans nos cerveaux ou notre génétique qui a rendu possible la pensée humaine moderne presque du jour au lendemain, par opposition à une lente accumulation culturelle. Ci-dessous, nous présentons les grandes figures académiques qui défendent ce point de vue, y compris une section sur la Théorie de la Conscience d’Andrew Cutler. Chacun a proposé que l’unicité cognitive d’Homo sapiens a émergé brusquement en raison de changements biologiques/neurologiques (tels qu’une mutation permettant le langage, la pensée symbolique ou une capacité mentale améliorée). Nous résumons leurs arguments clés, preuves, œuvres majeures, et notons les critiques d’autres chercheurs. Bien que leurs idées convergent sur la notion d’une “mise à niveau” cognitive soudaine au Paléolithique supérieur, elles divergent dans les détails – de ce qui a changé (langage, mémoire, câblage cérébral) à quand et comment cela a changé.

Richard G. Klein – Mutation Neuronale et le “Big Bang” du Comportement#

Contexte : Richard Klein est un paléoanthropologue (Université de Stanford) qui a défendu l’idée d’une révolution cognitive tardive et génétiquement motivée. Dans des œuvres comme The Dawn of Human Culture (2002) et de nombreux articles, Klein soutient que les humains anatomiquement modernes existaient il y a environ 200 000 ans, mais que les humains comportementalement modernes n’apparaissent que vers 50 000 ans dans les archives archéologiques. Il attribue cela à un changement biologique – “une mutation génétique fortuite” – qui a reconfiguré le cerveau il y a environ 45–50k ans, accordant la capacité pour un langage pleinement moderne et une pensée symbolique.

Argument Clé : L’hypothèse de Klein (parfois appelée le “Grand Bond en Avant”) postule qu’une seule mutation génétique a déclenché une augmentation soudaine de la “qualité” du cerveau, pas de sa taille. Cette réorganisation neuronale aurait pu doter les premiers Homo sapiens de la base neurologique pour la syntaxe et le langage complexe, ce qui a ensuite permis une pensée abstraite et imaginative. Selon Klein, ce saut cognitif a permis aux humains de “concevoir, créer et communiquer en symboles”, changeant fondamentalement le comportement. Il note que les Néandertaliens et les premiers humains modernes avant 50k n’ont pas régulièrement exhibé ces comportements, malgré des cerveaux de taille similaire.

Preuves Utilisées : Le contraste frappant dans les archives archéologiques avant et après ~50k est central dans l’argumentation de Klein. Avant 50k, les artefacts étaient relativement basiques ; après 50k, nous voyons un déferlement de créativité et d’innovation souvent appelé le “big bang” culturel de l’humanité. Par exemple, à partir d’environ 45–40k ans, nous trouvons des peintures rupestres fantastiques, des figurines sculptées, des sépultures élaborées avec des objets funéraires, des ornements personnels, des outils de pêche sophistiqués et des huttes structurées – tous indicateurs d’un comportement moderne. De telles trouvailles sont extrêmement rares ou absentes dans les périodes antérieures. Klein soutient que cette “floraison soudaine” d’ingéniosité s’explique mieux par un changement biologique qui a permis un langage moderne et un raisonnement symbolique. Il se tourne également vers la génétique pour obtenir un soutien : Klein a souligné la découverte du gène FOXP2 (impliqué dans la parole) – qui a subi des changements dans la lignée humaine – comme un élément potentiel du puzzle. Au début des années 2000, une étude a daté la mutation clé du FOXP2 humain à environ 100 000 ans. Klein a noté cela comme preuve que “les changements cognitifs génétiquement motivés” ont continué bien après que notre cerveau ait atteint une taille anatomiquement moderne. Il a prédit que les “derniers changements cognitivement importants” dans notre génome dateraient d’environ 50k ans. Dans des interviews, il a raisonné que si les gènes sous-tendant la cognition moderne (comme ceux pour le langage) peuvent être identifiés et datés, ils pourraient se regrouper autour de cette période. En résumé, Klein combine des données archéologiques (une explosion tardive d’artefacts symboliques) avec des indices génétiques pour soutenir un modèle motivé par une mutation.

Œuvres Majeures et Apparitions : Le manuel définitif de Klein The Human Career (1989, 3e éd. 2009) et le livre populaire The Dawn of Human Culture (2002, co-écrit avec Blake Edgar) exposent les preuves. Il a également présenté sa théorie dans des articles comme “Archaeology and the Evolution of Human Behavior” (Evolutionary Anthropology, 2000) et une perspective de 2002 dans Science. Klein a parlé de cette hypothèse dans divers médias ; par exemple, le Stanford Magazine l’a surnommé “Mr. Great Leap” dans un profil de 2002 intitulé “Suddenly Smarter”, où Klein explique le scénario du saut neurologique.

Influence Académique : Au début des années 2000, l’idée de Klein a suscité un débat vigoureux et est devenue un point de référence pour les discussions sur la “modernité comportementale”. De nombreux chercheurs ont accepté que quelque chose de dramatique s’est produit autour de 50k (souvent appelé la “Révolution du Paléolithique Supérieur”), bien que tous ne soient pas d’accord sur le fait qu’il soit génétique. L’insistance de Klein sur un déclencheur biologique était et est provocante dans un domaine où les explications basées sur la culture sont courantes. Son cadre a affiné l’attention sur la raison pour laquelle les humains anatomiquement modernes ont mis si longtemps à exhiber des comportements modernes.

Critiques et Opposition : Le modèle de Klein a fait face à une opposition significative de la part des archéologues qui favorisent une vue gradualiste. Notamment, Sally McBrearty et Alison Brooks (2000) ont soutenu “La révolution qui n’était pas”, affirmant que l’ensemble des comportements modernes s’est accumulé lentement en Afrique entre ~250k–50k ans, plutôt que soudainement en Europe à 50k. Elles et d’autres ont découvert des lueurs antérieures de comportement moderne : par exemple, des pièces d’ocre gravées de 77 000 ans provenant de la grotte de Blombos, en Afrique du Sud (avec des motifs en croix qui suggèrent une intention symbolique), et des harpons en os finement travaillés de 90 000 ans du Congo. Ces découvertes impliquent de l’art et des outils complexes avant 50k. McBrearty note de telles preuves de pensée symbolique pour argumenter que les humains “se vantaient du même équipement mental que nous avons aujourd’hui” bien avant la supposée révolution. Dans cette vue, la poussée du Paléolithique supérieur s’est produite comme une culmination d’innovations graduelles – peut-être stimulée par des changements démographiques ou environnementaux – plutôt qu’une mutation. Klein a répondu que ces premiers artefacts “proto-modernes” sont extrêmement rares et souvent contestés dans leur datation. Il a célèbrement plaisanté qu’on pourrait les expliquer comme des “chef-d’œuvres isolés, peut-être l’œuvre d’un Léonard de Vinci prémoderne occasionnel”, alors que la majorité des preuves pointe vers un changement dramatique autour de 50k. Une autre critique est que la dépendance de Klein à une seule mutation est difficile à vérifier ; comme il l’a lui-même admis, “les fossiles n’enregistrent pas les détails de la structure cérébrale ni ne nous disent quand la parole a commencé”, rendant l’hypothèse difficile à prouver ou à falsifier directement. De plus, des recherches génétiques ultérieures ont montré que les Néandertaliens possédaient déjà la variante humaine du FOXP2, ce qui signifie que ce changement génétique particulier n’était pas une innovation soudaine de 50k (bien que d’autres changements génétiques aient pu se produire). Les explications démographiques et sociales sont également populaires parmi les chercheurs qui acceptent un changement rapide du Paléolithique supérieur mais l’attribuent à la croissance démographique, à la migration ou à la culture (par exemple, la compétition entre groupes, ou la connaissance cumulative atteignant un seuil) plutôt qu’à une mutation neurologique. Klein reconnaît de tels scénarios comme possibles, mais les trouve moins convaincants sans explication pour expliquer pourquoi ils se déclencheraient à ce moment précis. Il soutient qu’un déclencheur génétique “semble beaucoup plus plausible et explique plus que les alternatives”.

En résumé, Richard Klein reste une voix éminente pour une révolution cognitive biologiquement motivée. Il a rassemblé des schémas archéologiques et des indices génétiques pour soutenir que quelque chose dans nos cerveaux a changé il y a environ 50 000 ans, “allumant” effectivement le spectre complet du comportement humain moderne. Même ceux qui ne sont pas d’accord donnent à Klein le crédit d’avoir formulé le problème de manière testable et d’avoir dynamisé la recherche sur les origines de nos esprits symboliques.

Noam Chomsky (et Collègues) – Une Seule Mutation pour la Syntaxe#

Contexte : Noam Chomsky, linguiste au MIT, n’est pas un archéologue, mais ses théories sur l’évolution du langage sont directement liées à l’idée d’un saut cognitif soudain. Chomsky, avec des collègues comme Marc Hauser, Tecumseh Fitch, et plus récemment Robert Berwick et Johan Bolhuis, a soutenu que la capacité cruciale distinguant la cognition humaine est le langage, spécifiquement notre capacité à produire une syntaxe récursive et hiérarchique. Il a proposé que la faculté de langage – en particulier, l’opération computationnelle qu’il appelle “Merge” (qui construit des phrases infinies à partir d’éléments finis) – est apparue chez les humains via une seule mutation génétique chez un (ou quelques) individus. Cette mutation est censée s’être produite au cours des 100 000 dernières années, peut-être autour de 70–80k ans, et s’est répandue dans l’espèce, entraînant l’émergence soudaine du véritable langage. Essentiellement, la vision de Chomsky est une “révolution linguistique” biologiquement motivée qui sous-tend ensuite la révolution comportementale du Paléolithique supérieur.

Argument Clé : Chomsky et ses collaborateurs soutiennent que “la faculté de langage est susceptible d’avoir émergé assez récemment en termes évolutifs, il y a environ 70 000–100 000 ans, et ne semble pas avoir subi de modification depuis lors.” En d’autres termes, le langage moderne est apparu brusquement, sous sa forme complète, et toutes les langues humaines aujourd’hui partagent une grammaire universelle sous-jacente qui reflète cette origine unique. Selon ce que Chomsky appelle la “Thèse Minimaliste Forte”, le cœur du langage est une opération récursive simple mais puissante (Merge). Si Merge est né d’une mutation, ce serait un “instant” évolutif – “l’émergence du langage était essentiellement un événement génétique unique – il s’est produit il y a environ 80 000 ans, a donné naissance au langage tel que nous le connaissons, et ne s’est plus reproduit depuis.” Chomsky raisonne que les étapes intermédiaires de demi-langage ne seraient pas stables ou particulièrement utiles, donc un saut qualitatif est nécessaire. Il donne souvent l’exemple que le langage est d’abord un instrument de pensée, pas seulement de communication – une mutation pourrait avoir fourni un mode de calcul interne (permettant une imagination illimitée, une planification, etc.), qui a ensuite été coopté pour une communication complexe. En somme, son argument est que quelque chose comme une “étincelle mentale” – parfois métaphoriquement comparée à un don de feu de Prométhée – a enflammé la capacité linguistique du cerveau en un seul coup, permettant toute la floraison culturelle ultérieure.

Preuves Utilisées : Contrairement aux archéologues, les preuves de Chomsky sont largement internes et théoriques : la structure du langage elle-même et la cognition comparative. Il souligne qu’aucun autre animal n’a quoi que ce soit de semblable à la syntaxe humaine ; même nos proches parents primates manquent de grammaire récursive et de sémantique générative ouverte. Cette discontinuité lui suggère un seul pas évolutif plutôt qu’une accumulation graduelle (il a célèbrement soutenu qu’il n’y a pas de “demi-merge” utile). Il note également que bien que les langues diffèrent superficiellement, leur cadre grammatical profond est universellement humain – indiquant une origine commune ou une biologie sous-jacente. De plus, tous les humains, qu’ils soient en Afrique, en Europe ou ailleurs, semblent avoir une capacité linguistique égale (il n’y a aucune preuve que, par exemple, les premiers Homo sapiens avaient une forme de langage plus simple qui a ensuite “évolué” – même les langues des chasseurs-cueilleurs les plus simples aujourd’hui sont richement complexes). Cette stabilité et universalité du langage est vue comme cohérente avec une seule mutation fixée dans la population. En termes de chronologie, Chomsky se réfère souvent aux archéologues qui indiquent que les artefacts symboliques (comme l’art, les outils sophistiqués, etc.) sont devenus omniprésents il y a environ 50k ans, et il associe cela au langage. Dans un article de 2014 (Bolhuis, Tattersall, Chomsky, Berwick), ils écrivent que l’émergence du langage et sa stabilité ultérieure corrèlent avec la créativité cognitive soudaine de notre espèce. Le collègue de Chomsky, Robert Berwick, et lui ont écrit Why Only Us: Language and Evolution (2016), qui élabore ce scénario. Ils reconnaissent que c’est une “conjecture controversée” mais soutiennent qu’elle correspond au fait que nous ne voyons pas d’évolution graduelle de la grammaire dans les archives archéologiques ou fossiles – le langage ne laisse pas de fossiles, mais le comportement complexe le fait, et cela apparaît de manière explosive.

Chomsky cite également parfois des preuves génétiques de manière générale : par exemple, les différences génétiques relativement faibles entre les humains et les Néandertaliens pourraient inclure une qui a des effets cognitifs disproportionnés (comme affecter le câblage neural pour la récursion). Le gène FOXP2 était initialement considéré comme un candidat, mais Chomsky note que le langage implique probablement de nombreux gènes et que FOXP2 seul n’est pas “le gène de la grammaire” (surtout puisque les Néandertaliens l’avaient). Au lieu de cela, il se concentre sur la possibilité abstraite d’une mutation majeure dans l’architecture régulatrice du cerveau. Pour soutenir cela, il se réfère à des arguments de génétique des populations selon lesquels une mutation bénéfique dans une petite population pourrait se répandre en moins de 20 000 ans – ce qui est plausible dans la fenêtre temporelle qu’il suggère. Cependant, les preuves directes de la mutation (par exemple, un gène spécifique) restent non identifiées.

Œuvres Majeures et Déclarations : Une publication marquante était “The Faculty of Language: What Is It, Who Has It, and How Did It Evolve?” (Hauser, Chomsky, Fitch, Science 2002), qui posait que la seule partie uniquement humaine du langage (FLN, ou Faculty of Language–Narrow) pourrait être la récursion (Merge), et spéculait qu’elle pourrait avoir émergé soudainement au cours des 100 000 dernières années. Plus tard, Chomsky & Berwick’s Why Only Us (2016) défend explicitement le modèle de la mutation unique (avec l’analogie colorée de Prométhée). Dans des interviews et des essais, Chomsky a décrit à plusieurs reprises l’évolution du langage comme un problème difficile, disant essentiellement que le langage moderne est apparu, puis n’a jamais fondamentalement changé. Il a collaboré avec le paléoanthropologue Ian Tattersall dans l’essai de 2014 dans PLOS Biology, soulignant le soutien interdisciplinaire pour une émergence récente. Ces œuvres sont très citées dans les discussions sur la biolinguistique.

Influence Académique : Les idées de Chomsky ont été extrêmement influentes en linguistique pendant des décennies (bien que l’accent ait été davantage mis sur la syntaxe que sur l’évolution jusqu’aux années 2000). Sa position évolutive a repoussé contre les scénarios adaptatifs purement graduels et a popularisé le concept d’un “organe du langage” apparaissant en un clin d’œil évolutif. En sciences cognitives, cela a suscité ce que certains appellent le camp “saltationniste” pour les origines du langage. Même ceux qui ne sont pas d’accord encadrent souvent leurs articles en réponse aux propositions de Chomsky.

Critiques et Opposition : Le modèle de langage soudain de Chomsky est l’une des hypothèses les plus débattues en science évolutive. De nombreux experts le trouvent trop extrême ou insuffisamment soutenu. Les critiques clés incluent : • Improbabilité d’une Seule Mutation : Les biologistes évolutionnistes soutiennent qu’il est très improbable qu’un seul changement génétique produise quelque chose d’aussi complexe que le langage. Des études computationnelles récentes ont remis en question la génétique des populations de la revendication de Chomsky. Par exemple, une analyse de 2020 par Martins et al. a examiné la probabilité qu’une seule mutation (avec un énorme avantage de fitness) se répande dans une petite population humaine. Ils ont conclu que “bien qu’une macro-mutation soit beaucoup plus susceptible de se fixer si elle se produit, elle est beaucoup plus improbable a priori que plusieurs mutations avec des effets de fitness plus petits.” En fait, “le scénario le plus probable est celui où un nombre moyen de mutations avec des effets de fitness moyens s’accumulent.” Leurs résultats “mettent en doute toute suggestion selon laquelle le raisonnement évolutif fournit une justification indépendante pour une théorie de la mutation unique du langage.” En termes simples, une mutation “big bang” unique est statistiquement beaucoup moins probable qu’une série de petits ajustements adaptatifs. Cela réfute directement l’idée qu’un seul changement génétique était nécessaire. • Intermédiaires et Exaptation : Les critiques comme Steven Pinker et Ray Jackendoff (dans un article de 2005) soutiennent que le langage pourrait avoir évolué graduellement pour la communication, et que l’accent de Chomsky sur la récursion ignore les nombreuses étapes intermédiaires (par exemple, les mots, la protosyntaxe, la communication pragmatique) qui auraient été avantageuses. Ils soulignent que même si Merge est apparu soudainement, les mots et les concepts (les blocs de construction sur lesquels Merge opère) avaient besoin d’un chemin. Comme l’a noté Michael Studdert-Kennedy, le modèle de Chomsky “n’offre aucun compte de l’origine des mots”, étiquetant essentiellement cette origine comme un “mystère”. Le travail de Bickerton (voir ci-dessous) et d’autres fournissent des scénarios pour une évolution lexicale graduelle, que l’approche de Chomsky contourne. • Contexte Social et Culturel : De nombreux linguistes et anthropologues croient que l’évolution du langage a été motivée par des besoins de communication sociale, pas seulement par le calcul interne. Ils critiquent le rejet de la communication par Chomsky. L’histoire de la mutation unique a été qualifiée de “trop mythique” – une sorte de mutation miracle sans cause écologique claire. Les pragmatistes évolutionnistes demandent : pourquoi un cerveau évoluerait-il soudainement une syntaxe complexe s’il n’était pas progressivement affiné par des pressions de communication ? Ils favorisent des scénarios où la complexité sociale croissante, l’utilisation d’outils ou les activités symboliques ont fourni des gradients sélectifs pour améliorer le langage au fil du temps. La vision de Chomsky, comme certains le disent, est “aveugle au contexte social”. • Preuves Archéologiques et Autres Humains : Archéologiquement, un langage pleinement moderne est difficile à détecter, mais si le langage était vraiment absent avant 80k, on pourrait s’attendre à des comportements plus limités beaucoup plus tôt. Les gradualistes pointent des preuves de communication structurée parmi les Néandertaliens ou les Homo antérieurs (par exemple, des pratiques symboliques possibles des Néandertaliens ou l’utilisation précoce de l’ocre rouge et des ornements personnels par Homo sapiens >100k ans en Afrique). Ceux-ci suggèrent que les précurseurs du langage (communication symbolique) étaient en train de se construire. De plus, les Néandertaliens avaient des tailles de cerveau égales aux nôtres et probablement certaines capacités vocales ; de nombreux chercheurs pensent que les Néandertaliens avaient une forme de langage (quoique peut-être moins complexe). Si c’est le cas, le langage de notre lignée pourrait avoir des racines plus profondes, sapant une mutation unique tardive juste chez H. sapiens. Le camp de Chomsky répond généralement que même si les Néandertaliens avaient un langage rudimentaire, le langage moderne génératif complet pourrait encore avoir été une innovation unique dans notre lignée. Cela reste non résolu, car les interprétations des découvertes néandertaliennes (comme les marques de grotte de 60k ans en Espagne, ou les bijoux fabriqués à partir de griffes d’aigle) sont controversées – certains les voient comme des preuves de symbolisme néandertalien (donc des esprits prêts pour le langage), tandis que d’autres les attribuent à un contact avec des humains modernes ou à une intelligence non linguistique.

En résumé, la révolution biologiquement motivée de Chomsky est centrée sur l’émergence de la faculté de langage comme déclencheur de l’unicité humaine. C’est un exemple clair d’une cause soudaine et interne pour le saut cognitif du Paléolithique supérieur. Bien qu’elle soit très influente et alignée avec la discontinuité frappante entre la cognition humaine et animale, elle reste fortement débattue. La majorité des chercheurs aujourd’hui penchent vers des modèles plus complexes et graduels pour le langage – mais la théorie de Chomsky continue de provoquer des recherches, y compris des études génétiques (essayant de trouver des mutations pertinentes) et des dialogues interdisciplinaires, gardant l’idée d’un “big bang” linguistique très vivante dans le discours scientifique.

Derek Bickerton – De la Protolangue au Langage : Une Saltation Cognitive#

Contexte : Derek Bickerton était un linguiste (Université d’Hawaï) connu pour son travail sur les langues créoles et l’évolution du langage. Comme Chomsky, Bickerton voyait le langage comme clé de l’unicité cognitive humaine, mais son approche différait : il mettait l’accent sur une évolution en deux étapes – une “protolangue” antérieure (système de communication simple, sans grammaire) suivie d’un saut ultérieur vers une syntaxe complète. Bickerton a soutenu que le véritable langage (avec syntaxe et récursion) n’a pas émergé graduellement mais plutôt “catastrophiquement” – essentiellement un événement de percée dans l’évolution de notre espèce. Cette idée était centrale dans ses livres Language and Species (1990) et Language and Human Behavior (1995), et il l’a revisitée dans des œuvres ultérieures comme Adam’s Tongue (2009) et More Than Nature Needs (2014).

Argument Clé : Bickerton a postulé qu’avant les Homo sapiens pleinement modernes, les hominidés (y compris peut-être les Néandertaliens ou les premiers sapiens) communiquaient avec une protolangue – une chaîne de mots sans grammaire complexe, un peu comme comment les jeunes enfants ou les locuteurs de pidgin communiquent (par exemple, style “moi Tarzan, toi Jane”). Ensuite, à un moment donné avec Homo sapiens sapiens, il y a eu une transition évolutive vers le langage syntaxique. Il décrit cette transition en termes dramatiques : “…le véritable langage, via l’émergence de la syntaxe, a été un événement catastrophique, se produisant dans les premières générations d’Homo sapiens sapiens.” Dans ce contexte, “catastrophique” signifie soudain et qualitatif, pas désastreux – un changement abrupt de type spéciation dans la cognition. Bickerton imaginait qu’une fois que le cerveau a atteint un certain seuil de complexité, ou peut-être en raison d’un changement génétique, la syntaxe pourrait apparaître presque du jour au lendemain car les utilisateurs de protolangue bénéficieraient instantanément de la structuration de leurs énoncés. Cela expliquerait pourquoi nous ne voyons pas de grammaire à moitié formée sur de longues périodes : au lieu de cela, un saut vers un langage structuré offre un avantage immédiat, se répandant rapidement ou s’établissant dans la population.

Dans la chronologie de Bickerton, la protolangue pourrait avoir existé pendant des centaines de milliers d’années (il a même spéculé que Homo erectus avait une protolangue pour la communication de base). Mais le langage moderne complet – et donc l’explosion de la culture – n’apparaît qu’avec les humains anatomiquement modernes. Il a souvent lié cela à la révolution du Paléolithique supérieur : une fois que la syntaxe et le langage complexe sont arrivés, la porte s’est ouverte pour la mythologie, la planification avancée et l’innovation, ce qui correspond aux archives archéologiques de créativité il y a environ 50k ans.

Preuves et Raisonnement : Bickerton a tiré des preuves de plusieurs domaines : • Créoles et Langage Enfantin : L’une des observations influentes de Bickerton était que les langues créoles (formées par les enfants de locuteurs de pidgin) développent spontanément une complexité grammaticale en une génération. Il voyait cela comme un analogue moderne de ce qui aurait pu se produire dans l’évolution : le cerveau était prêt pour la syntaxe, et dès que les conditions le permettaient (par exemple, un besoin de communiquer des propositions plus complexes), le langage “fleurissait”. De même, les enfants passent d’un discours télégraphique à deux mots à des phrases complètes dans un saut développemental – peut-être récapitulant l’évolution. Ces phénomènes linguistiques ont suggéré à Bickerton que la grammaire est une capacité émergente qui apparaît relativement rapidement donné le bon substrat cognitif, pas quelque chose qui nécessite des éons d’amélioration graduelle. • Correlats Archéologiques : Bickerton a noté la concordance entre l’émergence du langage et la montée des artefacts symboliques. Bien qu’il ait été moins concentré sur des artefacts spécifiques que quelqu’un comme Klein, il était d’accord que la révolution culturelle du Paléolithique supérieur indique probablement quand le langage (en particulier la syntaxe) était enfin en place. Dans son livre de 2014, il discute de la façon dont les artefacts symboliques (art, ornementation) deviennent répandus à l’époque où il croit que le langage a pris racine, renforçant la connexion. Dans une discussion du New York Review of Books, les partisans de Bickerton ont souligné que son scénario place l’émergence du langage dans un contexte écologique plausible – “un contexte social évolutivement plausible”.

• Scénario écologique/social : Contrairement à l’histoire de la mutation dans le cerveau de Chomsky, Bickerton a proposé une histoire expliquant pourquoi le langage aurait évolué. Il a proposé ce qu’il appelait l’“hypothèse du désert” ou, de manière plus vivante, le “scénario de charognage confrontationnel”. Il imaginait que les premiers humains (peut-être Homo erectus) en Afrique devaient coopérer pour récupérer de grandes carcasses gardées par des prédateurs. Dans un tel scénario, un éclaireur trouvant un animal mort devait appeler les autres à l’aide, ce qui nécessite de communiquer sur des choses non immédiatement présentes (déplacement). Des gestes ou des appels primitifs auraient pu être utilisés pour transmettre “venez aider, il y a de la nourriture derrière la colline”. Au fil de nombreux millénaires de sélection naturelle, ces appels pourraient devenir plus différenciés – essentiellement des mots pour des concepts clés (nourriture, lieux, actions). Bickerton suggère qu’il y a 200 000 à 100 000 ans, ces proto-mots s’étaient accumulés en un protolangage utilisé par les premiers Homo sapiens. Mais ce protolangage manquait de structure complexe. Le grand saut, selon lui, a eu lieu lorsque les humains ont commencé à combiner ces symboles avec la syntaxe, permettant une variété infinie d’expressions (et donc une communication et une réflexion plus efficaces).

• Pré-adaptation cognitive : Bickerton a soutenu que les circuits cérébraux pour le langage ont peut-être évolué progressivement (par exemple, des améliorations de la mémoire, du contrôle vocal, de la théorie de l’esprit), mais que la syntaxe n’a fonctionné que lorsque tout était en place – semblable à un effet de seuil. C’est pourquoi il la voit comme abrupte : toutes les pièces (mots, cognition) pouvaient s’assembler et soudainement produire une nouvelle fonctionnalité (grammaire) qui n’était pas présente auparavant. Il utilisait parfois l’analogie d’une propriété émergente : vous pouvez avoir tous les ingrédients, mais seulement lorsqu’ils sont combinés correctement, la “flamme s’allume”.

Principaux travaux : Le travail précoce de Bickerton, Language and Species (1990), a exposé le concept de protolangage. Dans Language and Human Behavior (1995), il a réitéré que la syntaxe est apparue rapidement (la citation sur “l’événement catastrophique” date de cette période). Plus tard, Adam’s Tongue (2009) et More Than Nature Needs (2014) ont revisité ces idées avec des preuves mises à jour. Dans les interviews, Bickerton était connu pour ses déclarations audacieuses (par exemple, qualifiant le protolangage de “demi-langage” et le langage complet de “saut quantique”). Il a également participé à des débats ; par exemple, il est mentionné dans le travail de Chomsky & Berwick comme l’un des rares à avoir abordé le problème de “l’origine des mots”, Chomsky n’étant pas en désaccord sur le fait que les mots sont probablement venus avant la syntaxe. Les hypothèses de Bickerton ont également été présentées dans des documentaires et des sciences populaires, car elles offrent un récit de la façon dont nos ancêtres ont pu parler pour la première fois.

Critiques et réception : La théorie du protolangage de Bickerton a été à la fois influente et controversée : • Soutien et convergence : De nombreux chercheurs trouvent l’idée de protolangage utile. Elle comble le fossé entre la communication animale et le langage complet, et est soutenue par des preuves provenant des pidgins/créoles et du développement de l’enfant. En fait, la notion selon laquelle les premiers Homo sapiens ou même les Néandertaliens avaient une forme de langage plus simple (sans récursion ou syntaxe limitée) est considérée comme plausible par plusieurs linguistes et anthropologues. Son accent sur les mots d’abord, la syntaxe ensuite, a influencé des modèles comme ceux du linguiste Michael Arbib et d’autres qui parlent de stades de “protosigne” ou “protoparole”. Même les critiques de Chomsky citent parfois Bickerton comme offrant un scénario alternatif plus ancré. • Défis à un saut syntaxique soudain : La plus grande critique est similaire à celle rencontrée par Chomsky : à quel point devons-nous imaginer l’émergence de la syntaxe comme soudaine et singulière ? Certains soutiennent que la syntaxe complexe pourrait avoir évolué par étapes, et non de manière tout ou rien. Par exemple, le linguiste Simon Kirby et d’autres utilisant des modèles computationnels ont montré comment la structure récursive peut évoluer progressivement par transmission culturelle. De plus, certains systèmes de communication non humains (comme les oiseaux chanteurs ou les baleines) présentent une structure hiérarchique à un certain degré, suggérant que la récursion n’est pas un binaire absolu (bien que ces analogies soient débattues). Les critiques demandent : les Néandertaliens pouvaient-ils vraiment avoir zéro syntaxe ? Si les Néandertaliens ou d’autres contemporains avaient un certain niveau de grammaire, alors la syntaxe pourrait précéder Homo sapiens sapiens, sapant l’idée qu’elle était unique à un événement soudain dans notre lignée. Bickerton avait tendance à souligner que seuls les humains modernes ont un langage véritablement génératif, mais les preuves de similitude génétique des Néandertaliens (FOXP2, structures cérébrales) laissent place au doute. • Falsifiabilité empirique : Il est difficile de trouver des preuves directes pour ou contre une “mutation syntaxique”. Les artefacts archéologiques n’enregistrent pas directement la grammaire. Cependant, on pourrait soutenir que la richesse des artefacts symboliques après 50 000 ans implique un langage complexe (puisque des choses comme les récits ou la planification d’outils avancés bénéficient de la syntaxe), tandis que la rareté avant suggère une communication plus simple. Les gradualistes rétorquent que l’absence de preuve n’est pas preuve d’absence – le dossier africain est fragmentaire, et de nouvelles découvertes (comme l’ocre de Blombos, mentionnée plus tôt) montrent un symbolisme antérieur qui pourrait indiquer une forme de langage déjà en usage. • Théories alternatives pour l’émergence du langage : Certains chercheurs, comme l’anthropologue Terrence Deacon (The Symbolic Species, 1997), proposent un modèle co-évolutif : que le cerveau et le langage ont évolué main dans la main progressivement. D’autres comme Michael Tomasello se concentrent sur l’évolution graduelle de la cognition sociale et ne voient pas la nécessité d’un saut unique. Le scénario de Bickerton rivalise avec ceux-ci en termes de pouvoir explicatif. Les partisans du changement incrémental soulignent souvent que d’autres aspects du langage (phonologie, morphologie) ont des nuances évolutives qu’une histoire d’événement unique passe sous silence.

Dans le discours académique, le nom de Bickerton apparaît souvent aux côtés de celui de Chomsky en ce que tous deux plaident pour un saut qualitatif (bien que Bickerton soit plus disposé à incorporer des moteurs sociaux). Une dynamique intéressante : le livre de Chomsky de 2016 passe largement sous silence la façon dont les mots sont apparus, tandis que Bickerton a beaucoup travaillé sur ce sujet – conduisant certains critiques à reprocher à Chomsky d’ignorer les contributions de Bickerton. Cela souligne que même au sein du camp de la “révolution soudaine”, il existe des accents différents (calcul interne vs besoins de communication écologique).

Résumé : Derek Bickerton est une figure clé affirmant que la biologie nous a donné une mise à niveau soudaine du protolangage au langage complet, probablement coïncidant avec l’émergence d’Homo sapiens sapiens. Ses idées ont contribué à façonner le concept d’une révolution linguistique alimentant l’épanouissement culturel du Paléolithique supérieur. Bien qu’il reste difficile de prouver exactement à quelle vitesse la syntaxe a émergé, Bickerton a fourni un récit plausible et vivant qui continue d’influencer la recherche sur les origines du langage. Son travail est encore cité dans les débats actuels sur la question de savoir si la révolution cognitive humaine a été un événement abrupt lié au langage (les chercheurs faisant souvent référence à la fenêtre de 50 à 100 000 ans comme la période critique pour cette transition).

Ian Tattersall – Cerveau exaptatif, “libération” symbolique soudaine#

Contexte : Ian Tattersall est un paléoanthropologue (American Museum of Natural History) qui a beaucoup écrit sur les origines humaines (Becoming Human, 1998 ; Masters of the Planet, 2012, etc.). Il défend une vision qui combine l’évolution anatomique avec une révolution cognitive ultérieure. Tattersall soutient que lorsque Homo sapiens a d’abord évolué (il y a environ 200 000 ans en Afrique), un potentiel neurologique pour la cognition moderne faisait partie de cet événement de spéciation – mais il n’a pas été réalisé dans le comportement avant des dizaines de milliers d’années plus tard. Dans son modèle, l’émergence de la pensée symbolique a été retardée, nécessitant un déclencheur culturel (probablement le langage) pour la libérer. Il utilise souvent le terme “exaptation” – l’idée qu’un trait a évolué peut-être pour d’autres raisons, et n’a été coopté pour son utilisation actuelle que plus tard (dans ce cas, un cerveau capable de raisonnement symbolique qui n’a pas été utilisé jusqu’à ce que les circonstances le permettent).

Argument clé : Les points clés de Tattersall sont : • Modernité anatomique vs cognitive : Homo sapiens est devenu anatomiquement distinct (avec notre forme de crâne caractéristique, etc.) il y a environ 200 000 ans, grâce à une “réorganisation développementale significative” qui a vraisemblablement affecté le cerveau également. Il est “raisonnable de supposer que les bases neuronales de la pensée symbolique ont été acquises dans cette réorganisation”. En d’autres termes, le matériel pour la cognition moderne est probablement venu emballé avec notre évolution physique. Cependant, le dossier archéologique montre un long écart – les premiers humains anatomiquement modernes (AMH) ne se sont pas comportés de manière que nous reconnaîtrions comme “moderne” pendant plus de 100 000 ans. Les premiers AMH ont quitté l’Afrique il y a environ 100 000 ans (vers le Moyen-Orient) et ont montré des outils du Paléolithique moyen globalement similaires et aucun artefact symbolique clair, tout comme les Néandertaliens. Ce n’est qu’il y a environ 50 000 ans (et surtout lorsque les AMH se sont étendus en Europe il y a environ 45 000 ans) que nous voyons des preuves abondantes de comportement symbolique. Par conséquent, Tattersall suggère que le “potentiel biologique pour la pensée symbolique” existait plus tôt mais était dormant. Il l’appelle une capacité exaptive qui “devait attendre sa ‘découverte’ et sa libération par un stimulus culturel”. • Le langage comme catalyseur : Le stimulus le plus probable, selon Tattersall, était l’invention du langage (le langage ici signifiant un système de communication entièrement symbolique, pas seulement des vocalisations). Peut-être que le langage était une innovation culturelle (un développement socialement motivé) qui a débloqué le potentiel latent du cerveau humain pour penser symboliquement. Une fois la pensée symbolique “activée”, elle s’est répandue comme une traînée de poudre, conduisant aux changements culturels rapides que nous identifions comme la révolution du Paléolithique supérieur. Il le formule souvent comme “la capacité était là, mais elle avait besoin d’un déclencheur”. Cela donne une perspective nuancée : le changement génétique/biologique (quelle que soit la réorganisation cérébrale qui a doté la capacité) pourrait avoir eu lieu avec l’origine d’H. sapiens (~200k), mais la manifestation (les gens faisant réellement des choses symboliques) était soudaine et récente (~50k) lorsque le langage a émergé. En termes pratiques, c’est toujours une révolution cognitive au Paléolithique supérieur, mais les bases ont été posées plus tôt. • Unicité qualitative de la pensée symbolique : Tattersall souligne à quel point notre raisonnement symbolique est radicalement différent de tout ce qui a été vu auparavant. Les humains “recréent” le monde dans leur tête avec des représentations symboliques et imaginent des possibilités (“et si ?”). Il déclare que “autant qu’il est possible de le déterminer, aucune autre créature ne fait cela ou ne l’a jamais fait”. Cette unicité lui suggère un phénomène émergent plutôt que simplement le sommet d’une pente graduelle. Il souligne que le style cognitif humain moderne est “émergent plutôt que le produit d’un processus incrémental de raffinement”. Il y a une discontinuité – un thème commun à tous ces partisans de la révolution.

Preuves : Les preuves de Tattersall sont un mélange de fossiles, d’archéologie et de logique développementale : • Dossier fossile : Sur le plan physique, Tattersall note que notre morphologie squelettique (en particulier la forme du crâne indiquant l’organisation cérébrale) est distinctement différente de celle des humains antérieurs. Les fossiles comme Omo (195k ya) et Herto (160k ya) en Éthiopie montrent que les premiers H. sapiens avaient de grands cerveaux et certains traits modernes, mais peut-être pas des caractéristiques de crâne entièrement modernes. Vers ~100k ya, plusieurs spécimens africains (et plus tard ceux comme Skhul/Qafzeh en Israël ~120–90k ya) sont essentiellement modernes anatomiquement. Pourtant, ces personnes utilisaient des outils de l’âge de pierre moyen/paléolithique moyen similaires à ceux des Néandertaliens et n’ont laissé aucun art connu. Cette disparité entre la modernité anatomique et l’archaïsme comportemental est un pilier de l’argument de Tattersall : “les premiers membres anatomiquement reconnaissables de l’espèce ont largement précédé ses premiers membres qui se comportaient de manière manifestement symbolique”. Il souligne également que les Néandertaliens, malgré de grands cerveaux, n’ont jamais (ou très rarement) atteint l’expression symbolique – il les qualifie de “Néandertaliens presque certainement non symboliques” pour les contraster avec les humains modernes arrivants. Le dossier européen est instructif : lorsque les humains modernes arrivent ~45k ya, “leurs capacités symboliques [étaient] pleinement formées. Nous ne voyons aucun processus de transformation dans les dossiers archéologiques ou paléontologiques”. La culture matérielle associée aux Néandertaliens (Moustérien) est brusquement remplacée par celle des modernes arrivants (Aurignacien), avec à peine des formes transitionnelles à part quelques cas débattus. Ce remplacement abrupt implique que les modernes avaient déjà un avantage cognitif (pensée symbolique, langage) avant leur arrivée en Europe. • Dossier archéologique : Tattersall met en avant des sites africains où des indices de comportement symbolique apparaissent plus tôt que 50k, mais sporadiquement. Par exemple, la grotte de Blombos (~77k ya) avec des pièces d’ocre incisées est reconnue comme une “intimation” de pensée symbolique. Cependant, ces découvertes sont rares et spécifiques au contexte. Il suggère que bien que la capacité était présente, elle n’était pas répandue ou utilisée de manière cohérente. Ce n’est que plus tard (50k et au-delà) que nous voyons des artefacts symboliques sans équivoque proliférer (art rupestre, sculptures figuratives, enterrements rituels complexes, etc.). Il interprète ce schéma comme une preuve qu’un seuil a été franchi culturellement. Dans ses écrits, il se réfère souvent à la façon dont après la révolution cognitive, les humains sont devenus “innovateurs” d’une manière jamais vue auparavant – conduisant finalement à des choses comme l’agriculture (il analogise même la révolution cognitive avec la révolution néolithique comme deux grands changements récents). • Perspective des sciences cognitives : Tattersall s’appuie sur ce que nous savons de l’évolution cognitive pour soutenir que la pensée symbolique ne se fossilise pas, mais sa présence peut être déduite des artefacts symboliques. Il souligne également que les comportements avancés nécessitent plus que de l’intelligence ; ils nécessitent un type de pensée qualitativement différent. Par exemple, de nombreux animaux sont intelligents et peuvent utiliser des outils ou résoudre des problèmes (même les Néandertaliens ont accompli des “exploits formidables” sans symboles apparents), mais combiner et recombiner des symboles pour envisager des possibilités est uniquement humain. Cela suggère un changement de “logiciel” en plus du “matériel”.

Principaux travaux et apparitions : Les idées de Tattersall sur ce sujet se trouvent dans ses livres et articles comme “An evolutionary framework for the acquisition of symbolic cognition by Homo sapiens” (2008) et un article dans Evolutionary Anthropology (2000) où il discute explicitement de la façon dont la cognition symbolique pourrait avoir été “activée” tardivement. Il intervient souvent lors d’événements publics (par exemple, des conférences dans des musées, des interviews) sur l’unicité humaine. Dans l’article de 2014 de PLOS Biology (co-écrit avec Chomsky et al.), il a soutenu la notion d’une émergence récente de la faculté du langage, cohérente avec son point de vue selon lequel le langage était clé. La critique de Tattersall de Why Only Us (Berwick & Chomsky) en 2016 a en fait convenu qu’aucun scénario linguistique actuel ne correspond mieux aux faits archéologiques que l’émergence soudaine du langage complet – un point d’alignement significatif entre Tattersall et Chomsky sur le timing, sinon le mécanisme exact.

Critiques et points de vue alternatifs : La perspective de Tattersall est quelque peu médiane entre une mutation stricte à 50k (Klein) et une évolution purement graduelle. Elle a suscité à la fois des accords et des critiques : • De nombreux archéologues travaillant en Afrique soutiennent l’idée que le développement du comportement moderne a été graduel et variable régionalement (citant à nouveau des choses comme l’ocre de Blombos, les perles de coquillage vieilles de 100 000 ans à Es-Skhul en Israël ou Blombos ~75k, etc.). Ils pourraient soutenir que Tattersall sous-estime combien de comportements symboliques ou complexes s’accumulaient lentement. Par exemple, des preuves de l’utilisation systématique de pigments par les humains il y a aussi longtemps que 200 000 ans, ou les récentes découvertes d’Homo naledi s’engageant peut-être dans une élimination délibérée des corps ~250k ya, suggèrent que le comportement symbolique pourrait avoir des racines plus profondes. Tattersall répondrait probablement que même si les humains antérieurs faisaient des actes symboliques isolés, une pensée symbolique continue et omniprésente nécessitait le langage et une certaine masse critique cognitive qui n’a été atteinte que plus tard. • Le plus grand défi à la division cognitive nette de Tattersall est la preuve croissante que les Néandertaliens avaient une certaine capacité symbolique. Ces dernières années, des découvertes telles que : des stalagmites peintes dans des grottes en Espagne datant de 64 000 BP (avant l’arrivée des humains modernes) qui suggèrent une paternité néandertalienne, des bijoux néandertaliens (par exemple, des pendentifs en serres d’aigle ~130k BP à Krapina), et leur utilisation de pigments peut-être pour orner des coquillages ou des corps. Certains chercheurs comme João Zilhão soutiennent que cela montre que les Néandertaliens pouvaient inventer le symbolisme indépendamment, ce qui signifie que la cognition symbolique pourrait précéder l’ancêtre commun des Néandertaliens et des humains modernes (~500k ans) ou être apparue en parallèle – de toute façon, pas une mutation tardive unique dans notre lignée. Le livre de Clive Finlayson The Smart Neanderthal (2019) remet explicitement en question l’idée d’une révolution cognitive exclusive aux humains, suggérant que les Néandertaliens étaient plus proches de nous en intellect qu’on ne le supposait. Si les Néandertaliens étaient capables de symbolisme, la notion de Tattersall selon laquelle H. sapiens avait une capacité exaptive unique déclenchée par la culture doit être réexaminée. Tattersall a tendance à être sceptique face à ces affirmations, remettant souvent en question le contexte ou l’interprétation des découvertes néandertaliennes (par exemple, si certains arts pourraient avoir été réalisés par des modernes précoces, ou si les pigments avaient une signification symbolique ou une simple utilisation utilitaire). Le débat est en cours, et de nouvelles preuves pourraient le faire pencher. • Une autre discussion est ce qui a causé l’invention du langage (si c’était une innovation culturelle) à ce moment-là. Tattersall ne précise pas exactement cela, mais l’augmentation démographique ou la pression environnementale à la fin de la dernière période glaciaire pourrait avoir joué un rôle (une idée similaire à certaines théories du seuil démographique). Il souligne simplement que chaque fois que l’étincelle (le langage) s’est produite, elle a rapidement transformé la scène. Les critiques du côté gradualiste pourraient dire que cela ressemble toujours à un heureux hasard – pourquoi pas plus tôt ? Pourquoi seulement notre lignée ? Ce sont des questions difficiles à répondre de manière définitive sans plus de preuves.

Dans l’ensemble, Tattersall propose une synthèse où la biologie et la culture interagissent : la biologie nous a donné le cerveau capable de pensée symbolique (grâce à une innovation évolutive qui a accompagné l’origine de notre espèce), et ensuite la culture (le langage) a allumé la mèche il y a ~50k ans. Cette vision a été assez influente parmi ceux qui voient l’esprit humain comme quelque chose de spécial tout en reconnaissant que le dossier fossile ne montre pas de retour immédiat de nos grands cerveaux. Elle s’accorde également avec les idées de plasticité cérébrale et de seuils – notre cerveau pourrait avoir eu besoin d’un certain stimulus pour se reconfigurer pour la cognition symbolique (certains neuroscientifiques ont spéculé que dès que le langage a commencé, il pourrait fondamentalement modifier les schémas de pensée dans une boucle de rétroaction).

En résumé, l’argument de Tattersall pour une révolution paléolithique supérieure biologiquement activée mais culturellement déclenchée souligne que posséder la machinerie ne suffit pas tant que vous ne savez pas comment l’utiliser. Lorsque Homo sapiens a commencé à l’utiliser (via le langage symbolique et la culture), le résultat a été une explosion créative sans précédent – qu’il considère comme un événement évolutif aussi dramatique que n’importe quel autre, mais intriguant récent dans l’histoire courte de notre espèce.

Steven Mithen – Fluidité cognitive : le Big Bang de l’esprit#

Contexte : Steven Mithen est un archéologue et professeur de préhistoire ancienne (Université de Reading) qui a appliqué des concepts de sciences cognitives aux anciens humains. Dans son livre influent The Prehistory of the Mind (1996), Mithen a proposé que l’esprit humain moderne est défini par la “fluidité cognitive” – la capacité à intégrer des connaissances et des processus de pensée de différents domaines (par exemple, social, technique, naturel, linguistique). Il a soutenu que ce mode de cognition fluide et créatif n’a émergé chez Homo sapiens que pendant le Paléolithique supérieur, représentant un changement révolutionnaire dans l’architecture mentale. Avant cela, Mithen a suggéré que les hominidés (y compris les Néandertaliens) avaient des esprits plus modulaires avec des “intelligences” isolées pour différentes tâches (un peu comme un couteau suisse avec des outils séparés). La transition vers la fluidité cognitive a permis une innovation sans précédent et un art symbolique. Les idées de Mithen s’alignent sur un changement biologiquement motivé (dans l’organisation ou la fonction cérébrale) qui s’est manifesté il y a environ 50 000 ans.

Argument clé : Le modèle de Mithen est souvent résumé comme une séquence cognitive évolutive en trois étapes :

  1. Les premiers hominidés (par exemple, les australopithèques, les premiers Homo) avaient une intelligence générale pour la survie mais limitée en portée.
  2. Les hominidés ultérieurs (Néandertaliens, peut-être les premiers Homo sapiens) ont évolué vers des intelligences spécialisées : • Intelligence sociale (pour naviguer dans les dynamiques de groupe), • Intelligence technique/outils (pour fabriquer et utiliser des outils), • Intelligence d’histoire naturelle (pour comprendre les animaux, les plantes, les paysages), • (Et dans The Prehistory of the Mind, Mithen discute également du langage comme un module séparé qui pourrait avoir existé sous une forme rudimentaire). Ces domaines fonctionnaient quelque peu indépendamment – Mithen a comparé cela à un esprit composé de “lames” séparées comme un couteau suisse. Par exemple, les Néandertaliens pourraient avoir été socialement habiles et techniquement compétents, mais ils n’utiliseraient pas spontanément les connaissances d’un domaine dans un autre (par exemple, ils fabriquaient des outils et avaient des relations sociales mais ne créaient pas d’art qui combinait les deux, ou de mythes sur les animaux, etc.).
  3. Les humains modernes ont atteint la fluidité cognitive – les frontières entre les modules se sont effondrées. Les idées et les informations pouvaient circuler librement entre différents domaines, conduisant à la métaphore, à l’analogie et à la pensée créative. Cela signifiait, par exemple, qu’un humain pouvait combiner son savoir-faire technique avec la pensée sociale pour créer des artefacts symboliques (comme des bijoux qui signifient un statut social). Ou ils pouvaient appliquer des connaissances d’histoire naturelle à leur vie sociale (comme dans les totems ou les identités de clan basées sur les animaux) – essentiellement la naissance de la culture complexe. Le langage (en particulier avec la grammaire) pourrait avoir été à la fois une cause et un bénéficiaire de cette fluidité, en fournissant un moyen d’exprimer des pensées complexes intégrées.

Mithen associe le début de la fluidité cognitive à l’explosion culturelle du Paléolithique supérieur. Il suggère que bien que les humains anatomiquement modernes existaient plus tôt, ils avaient probablement encore un esprit quelque peu compartimenté jusqu’à ce qu’un point de basculement soit atteint. Une fois que la fluidité cognitive s’est enclenchée (peut-être en raison d’un changement neurologique ou du développement final du langage), cela a entraîné un “big bang de la conscience humaine”. C’est pourquoi, il y a environ 40 à 50 000 ans, nous voyons une émergence soudaine de l’art (peintures rupestres, figurines), des rituels élaborés, des artefacts décoratifs, une diversification rapide des types d’outils, des instruments de musique, etc. Ce sont tous des produits d’un esprit capable de mélanger les domaines (l’art mélange souvent des images naturelles avec une signification symbolique ; les outils complexes peuvent mélanger des considérations fonctionnelles et esthétiques ; les rituels mélangent la structure sociale avec des récits imaginatifs).

Preuves : Mithen s’appuie fortement sur le dossier archéologique et les idées de la psychologie cognitive : • Modèles archéologiques : Le contraste frappant entre le comportement du Paléolithique moyen (y compris les Néandertaliens et les premiers humains modernes) et celui du Paléolithique supérieur est un fondement de sa théorie. Les ensembles d’outils du Paléolithique moyen (par exemple, Moustérien) étaient relativement statiques et fonctionnels ; il y a un manque notable de commerce de ressources à longue distance, d’objets symboliques ou d’innovation radicale. Les cultures du Paléolithique supérieur, en revanche, montrent une variation stylistique régionale, de l’art, des ornements personnels, de nouvelles catégories d’outils et un renouvellement plus rapide des innovations. Mithen interprète cela comme le résultat d’un changement cognitif. Par exemple, les Néandertaliens fabriquaient des bijoux (il existe des preuves qu’ils le faisaient occasionnellement, comme des pendentifs simples ou l’utilisation de pigments) mais c’est limité – peut-être imitatif ou isolé – tandis que les premiers humains modernes européens fabriquaient des bijoux abondants, souvent avec des styles standardisés et une symbolique sociale implicite. Mithen dirait que les Néandertaliens pourraient produire un collier pour son attrait visuel ou sa curiosité, mais ils ne semblaient pas dépendre culturellement des symboles. Les humains modernes, une fois cognitivement fluides, ont intégré l’ornementation dans la vie sociale (identité, affiliation de groupe, normes de beauté). Cette intégration entre les domaines (art <-> société <-> technologie) est exactement ce que prédit la fluidité cognitive. • Un exemple révélateur donné par Mithen : les Néandertaliens avaient la capacité technique de fabriquer des perles ou des sculptures (ils avaient des outils pour sculpter l’ivoire ou l’os), et le monde social qui pouvait utiliser des symboles (ils vivaient en groupes). Pourtant, à part des preuves rares, ils ne produisaient pas systématiquement d’artefacts symboliques. “Seuls les humains modernes… ont fait le saut évolutif pour combiner ces compétences” pour produire de l’art qui médie les relations sociales. Cela suggère une barrière cognitive que les humains modernes ont surmontée. Il cite également les premiers instruments de musique (~40k ans flûtes en os) comme preuve d’un nouveau domaine (la musique) émergeant, probablement de la combinaison du rythme (peut-être à partir de sons naturels ou de mouvements corporels) avec l’artisanat intentionnel – un autre signe de pensée fluide.

  • Sciences cognitives et anthropologie : Mithen s’est appuyé sur des idées de la psychologie évolutionniste, telles que le concept selon lequel l’esprit possède des modules ou des processeurs spécifiques à un domaine (une idée popularisée par Leda Cosmides et John Tooby, qu’il référence avec la métaphore du “couteau suisse”). Cependant, il diverge en proposant que ces modules peuvent fusionner. Il a utilisé l’ontogenèse (développement de l’enfant) comme analogie : les enfants classifient initialement le monde de manière très spécifique à un domaine (par exemple, animisme vs inanimisme, connaissance de soi vs connaissance des autres) et ce n’est que plus tard qu’ils développent la capacité de mélanger imagination et raisonnement à travers les domaines. De même, il pensait que la lignée humaine pourrait récapituler cela – un concept de “l’ontogenèse récapitule la phylogénie” dans le développement cognitif. C’est spéculatif mais offre un cadre.

  • Preuves linguistiques : Dans des travaux ultérieurs (et dans The Singing Neanderthals, 2005), Mithen a également considéré le rôle du langage et de la musique. Il a émis l’hypothèse que les Néandertaliens pourraient avoir eu un protolangage musical (“hmmmmm” communication – holistique, manipulatrice, multimodale, musicale, mimétique), et que le langage moderne a évolué à partir de quelque chose comme cela. Cela s’inscrit dans la fluidité cognitive en suggérant que le langage était initialement son propre module, peut-être en commençant par une communication musicale ou rythmique, puis est devenu un conduit pour connecter d’autres domaines de pensée lorsque la syntaxe et la sémantique se sont pleinement développées. Ainsi, le langage est à la fois un produit de la fluidité et une cause de celle-ci (un peu de rétroaction).

Principaux travaux : The Prehistory of the Mind (1996) est l’œuvre fondamentale exposant ces idées ; elle est largement citée dans les discussions sur les origines de l’art et de la religion. The Singing Neanderthals (2005) développe l’évolution de la musique et du langage, les intégrant dans son modèle. Mithen a également publié de nombreux articles et participé à des documentaires sur l’évolution cognitive humaine. Ses concepts de cognition spécifique à un domaine vs. fluide ont imprégné le dialogue académique, même parmi ceux qui ne sont pas d’accord avec les détails.

Réception et critiques : Le modèle de fluidité cognitive de Mithen était innovant, mais non sans critiques :

  • Débat sur la cognition néandertalienne : Similaire à la situation de Tattersall, des preuves que les Néandertaliens et d’autres humains archaïques pourraient avoir eu plus de créativité culturelle que supposé remettent en question la netteté de la division de Mithen. João Zilhão (archéologue) et d’autres ont fortement soutenu que le manque d’art abondant chez les Néandertaliens était dû à des facteurs démographiques/culturels, et non à une incapacité à penser de cette manière. Ils pointent les mêmes découvertes de bijoux néandertaliens, l’utilisation de pigments, des gravures abstraites potentielles (comme une possible éraflure en forme de hashtag à la grotte de Gorham par les Néandertaliens). La position originale de Mithen était que les Néandertaliens n’avaient pas de fluidité cognitive. Si c’est faux, et que les Néandertaliens avaient un comportement symbolique, alors la fluidité cognitive pourrait avoir commencé plus tôt ou indépendamment. Mithen a reconnu la controverse ici – il a noté en notes de bas de page que la différence cognitive entre les Néandertaliens et les humains modernes est vivement débattue, laissant entendre que son contraste fort pourrait nécessiter un adoucissement. Certains chercheurs ultérieurs proposent que les Néandertaliens avaient un certain degré de fluidité cognitive mais peut-être pas aussi étendu ou efficace que les humains modernes.

  • Comment la fluidité a-t-elle évolué ? Les critiques demandent quel changement biologique sous-tend la “fluidité cognitive”. Le scénario de Mithen implique une certaine réorganisation neurologique ou une augmentation de la connectivité dans le cerveau humain moderne. Cela fait écho à certains changements évolutifs réels : par exemple, il est connu que les humains ont des voies neuronales plus interconnectées (surtout dans le cortex préfrontal) que d’autres primates. Des études de Changeux et d’autres notent une augmentation d’environ 70 % des connexions neuronales possibles dans le cortex frontal humain par rapport aux chimpanzés. De tels changements pourraient faciliter l’intégration de l’information (cela s’aligne avec l’idée que le cortex préfrontal chez les humains est un “super-connecteur” entre les régions du cerveau). Le modèle de Mithen s’adapte bien à de telles données, mais il est encore hypothétique qu’un changement génétique soudain l’ait causé. Cela pourrait-il avoir été progressif ? Peut-être que la connectivité cérébrale a progressivement augmenté au cours du Pléistocène moyen (avec l’augmentation de la taille du cerveau) et a finalement atteint un seuil permettant une pensée fluide. Mithen n’était pas sûr de quand l’architecture pour la fluidité est apparue – il a admis que c’est “peu clair” ; nous ne l’observons archéologiquement qu’au début du Paléolithique supérieur. Ainsi, certains soutiennent que la fluidité pourrait avoir été en développement tout au long de l’évolution de l’Homo, et ce que nous voyons à 50 000 ans est simplement le point où elle devient visible en raison du franchissement d’un seuil de taille de population ou d’accumulation culturelle (une tournure gradualiste).

  • Débats sur la modularité : Les scientifiques cognitifs débattent de la modularité vs. l’intégration réelle de l’esprit. Mithen a adopté une vue relativement forte de la modularité pour les humains antérieurs. Si cette prémisse est erronée, tout le récit change. Certains proposent que même Homo erectus avait plus d’intelligence générale que de modules stricts, ce qui signifie que la fluidité n’était pas un interrupteur singulier mais une question de degré. L’utilisation par Mithen de la métaphore du “couteau suisse” vs. “esprit fusionné” est une expérience de pensée ; les cerveaux réels ne fonctionnent peut-être pas exactement de cette manière. Pourtant, c’est un cadre utile.

  • Explications alternatives pour l’innovation : La démographie et l’environnement ont été proposés comme explications alternatives (ou supplémentaires) pour l’explosion du Paléolithique supérieur. Certains chercheurs (par exemple, Paul Mellars, 2005 ; même les collègues de Klein) ont suggéré que l’augmentation de la densité de population autour de 50 000 ans pourrait avoir conduit à plus d’échanges d’idées et donc à plus d’innovation (indépendamment du changement cognitif). Si c’est vrai, la fluidité cognitive pourrait avoir existé plus tôt mais ne s’exprimer richement que lorsque les populations ont augmenté. Le modèle de Mithen n’est pas mutuellement exclusif avec cela – on pourrait avoir un potentiel cognitif restant principalement en sommeil jusqu’à ce que la société atteigne une masse critique pour en tirer parti (similaire au concept de déclencheur de Tattersall).

Dans les cercles académiques, l’idée de fluidité cognitive de Mithen a souvent été discutée aux côtés des idées de Wynn & Coolidge. En fait, certains ont suggéré que la mémoire de travail améliorée (la mutation de Wynn & Coolidge) pourrait être la base neurologique qui a permis la fluidité cognitive. La mémoire de travail pourrait permettre de maintenir plusieurs idées spécifiques à un domaine à l’esprit et de les combiner – alimentant essentiellement la pensée fluide. Mithen lui-même a été ouvert à de telles idées complémentaires.

Résumé : La contribution de Steven Mithen est le concept selon lequel la créativité et la capacité symbolique des humains modernes résultent d’un esprit nouvellement intégré. Il voit la révolution du Paléolithique supérieur non seulement comme un phénomène culturel mais comme une preuve d’un cerveau qui a commencé à “penser en dehors des sentiers battus” – littéralement, en dehors des boîtes mentales séparées que nos prédécesseurs avaient. Cette flexibilité cognitive biologiquement permise est une forme de révolution en elle-même. Le travail de Mithen reste largement cité dans les discussions sur l’émergence de l’art, de la religion et de la science – tous considérés comme des produits d’un esprit cognitivement fluide. Même ceux qui trouvent certains détails problématiques conviennent qu’expliquer l’explosion créative il y a environ 50 000 ans nécessite probablement de comprendre les changements qualitatifs dans la façon dont les humains pensaient. L’hypothèse de Mithen offre un cadre convaincant pour cette compréhension.

Frederick L. Coolidge & Thomas G. Wynn – Mémoire de travail améliorée comme facteur X#

Contexte : Le psychologue Frederick Coolidge et l’archéologue Thomas Wynn (Université du Colorado) ont apporté une approche neuropsychologique à la question de la cognition humaine moderne. À partir du milieu des années 2000, ils ont proposé qu’une capacité cognitive spécifique – la mémoire de travail (et ses fonctions exécutives) – a été significativement améliorée chez les humains modernes en raison d’un changement génétique, et que cette amélioration a sous-tendu l’émergence soudaine des comportements associés à la modernité. En essence, au lieu de “gène du langage” ou “intégration des modules”, ils identifient la mémoire et le contrôle exécutif comme le saut biologique critique. Cela est souvent appelé l’hypothèse de la mémoire de travail améliorée (EWM) pour la révolution cognitive.

Argument clé : La mémoire de travail est la capacité du cerveau à maintenir et manipuler des informations “en ligne” pendant de courtes périodes (souvent comparée à un espace de travail mental ou un tableau noir de l’esprit). Elle est cruciale pour la résolution de problèmes complexes, la planification, les tâches à plusieurs étapes, et aussi pour structurer le langage (par exemple, suivre une longue phrase). Coolidge et Wynn soutiennent que les premiers humains modernes ont subi une mutation génétique (ou un ensemble de mutations) qui a augmenté la capacité de mémoire de travail et amélioré les fonctions exécutives (comme le contrôle inhibiteur, la flexibilité cognitive et la pensée abstraite). Ce changement pourrait s’être produit il y a environ 70 000 à 50 000 ans – ils l’associent parfois à une mutation génétique spéculée autour de 60 000 ans. En conséquence, Homo sapiens pourrait surpasser les contemporains (comme les Néandertaliens) en innovation et en pensée symbolique. La mémoire de travail améliorée se manifesterait par un comportement plus sophistiqué dans le registre archéologique, s’alignant avec l’explosion du Paléolithique supérieur.

Il est important de noter que le scénario de Coolidge et Wynn compare souvent directement les Néandertaliens aux humains modernes. Ils suggèrent que les Néandertaliens avaient une capacité de mémoire de travail quelque peu plus limitée, ce qui pourrait expliquer les différences dans leurs signatures archéologiques. Par exemple, les Néandertaliens semblent avoir moins de preuves de profondeur de planification (ils ont fabriqué des outils complexes, mais peut-être n’ont-ils pas planifié régulièrement de longues chaînes logistiques ou de vastes réseaux commerciaux). Les humains modernes, avec une mémoire de travail renforcée, pourraient gérer une plus grande complexité : planifier des migrations, inventer et maintenir des traditions symboliques, etc. Dans un article de 2007, ils ont dit sans ambages : les Néandertaliens manquaient probablement “des fonctions exécutives avancées et de la capacité de mémoire de travail que les gens ont aujourd’hui.”

Preuves et raisonnement :

  • Neuropsychologie et génétique : Coolidge et Wynn se sont appuyés sur des recherches en psychologie cognitive qui quantifient la capacité de mémoire de travail chez les humains modernes et examinent sa base neurologique. La mémoire de travail implique les régions cérébrales frontales et pariétales (notamment le cortex préfrontal). Ils notent que les humains ont un cortex préfrontal plus grand et peut-être une connectivité plus robuste pour ces fonctions que les hominidés antérieurs. Ils ont spéculé sur les changements génétiques qui pourraient sous-tendre la mémoire de travail améliorée – les candidats pourraient être des gènes affectant le développement du lobe frontal ou les systèmes de neurotransmetteurs. (Un candidat spéculatif à l’époque était le gène COMT ou d’autres influençant la régulation de la dopamine, qui affecte la fonction exécutive). Ils se réfèrent également à des simulations génétiques : une mutation bénéfique augmentant la capacité cognitive, même légèrement, pourrait se répandre relativement rapidement (les calculs de Haldane sur les balayages sélectifs). Ils suggèrent que la base génétique pourrait être polygénique – signifiant plusieurs gènes interagissant – plutôt qu’un seul “gène de la mémoire de travail”. Ainsi, leur modèle permet que l’amélioration ait été le produit d’un petit groupe de mutations donnant aux humains modernes un avantage.

  • Analyse des artefacts : Les preuves archéologiques citées par Wynn & Coolidge se concentrent sur des éléments impliquant une cognition avancée :

    • Outils complexes et technologies à plusieurs étapes : Les humains modernes du Paléolithique supérieur ont fabriqué des armes de projectile (par exemple, propulseurs de lances, arcs et flèches par la suite), qui nécessitent souvent la coordination de plusieurs composants (pointe en pierre, manche, ligature, empennage). Les Néandertaliens utilisaient principalement des lances de poussée. Cela pourrait indiquer des différences dans la mémoire de travail pour l’assemblage multi-composants et le raisonnement hypothétique sur la balistique.

    • Planification et concepts abstraits : Ils pointent des objets comme la figurine “Lion-Man” de Hohlenstein-Stadel (40 000 ans) – une statue en ivoire d’une créature mi-animale, mi-humaine. La sculpter nécessiterait d’envisager un concept (être mythique) non présent dans la réalité, un exploit d’imagination et d’abstraction. Cela prend également du temps et une planification minutieuse pour être réalisé. De même, les bâtons de comptage ou les plaques d’ocre avec des gravures systématiques suggèrent de suivre des comptes ou des symboles abstraits. Ceux-ci, soutiennent-ils, reflètent la présence d’un “niveau moderne” de mémoire de travail – l’artiste ou l’utilisateur peut maintenir l’idée abstraite à l’esprit et exécuter une tâche représentative complexe. Wynn & Coolidge ont écrit que de tels artefacts sont “une forte indication que leurs utilisateurs avaient une mémoire de travail à un niveau moderne” et représentent peut-être des humains externalisant la mémoire (comme les premiers calendriers ou systèmes de notation), ce qui indique qu’ils repoussaient les limites de la capacité mentale et l’étendaient.

    • Taux d’innovation : Les sites humains modernes montrent un renouvellement plus rapide des styles d’outils et une adaptation à de nouveaux environnements (ils ont colonisé des régions diverses, comme l’Australie vers 50 000 ans, et l’Arctique plus tard). Cette polyvalence pourrait être attribuée à une meilleure résolution de problèmes et à la mémoire de travail (par exemple, planifier un voyage en mer ou survivre dans des climats extrêmes implique des prévisions et une préparation que les Néandertaliens pourraient ne pas avoir gérées aussi facilement).

  • Anthropologie comparative : Wynn & Coolidge ont également utilisé une approche comparative avec les Néandertaliens :

    • Les Néandertaliens avaient de grands cerveaux, mais peut-être que la structure différait (certains suggèrent des lobes frontaux légèrement plus petits par rapport aux humains modernes, bien que cela soit débattu). Si leur mémoire de travail était légèrement inférieure, cela pourrait avoir limité la complexité qu’ils pouvaient gérer. Ils étaient des fabricants d’outils experts (par exemple, la technologie Levallois), ce qui montre une excellente intelligence technique et même un certain niveau d’enseignement/apprentissage. Cependant, leur boîte à outils a peu changé sur des dizaines de milliers d’années, ce qui implique moins de flexibilité cognitive ou d’accumulation culturelle. Les chercheurs proposent qu’une mémoire de travail améliorée chez les humains modernes a permis une culture cumulative – chaque génération s’appuyant sur les innovations – tandis que les Néandertaliens pourraient avoir été plus liés par des méthodes traditionnelles (nécessitant une démonstration directe pour apprendre, plutôt que d’innover).

    • Ils examinent des éléments comme l’organisation des foyers néandertaliens, les structures de site, et concluent que bien que les Néandertaliens étaient intelligents, il y a des preuves subtiles qu’ils ne planifiaient pas aussi loin. Par exemple, certaines études sur l’approvisionnement en pierre montrent que les humains modernes transportaient parfois des ébauches d’outils sur de longues distances pour une utilisation future, tandis que les Néandertaliens fabriquaient plus souvent des outils sur place à partir de matériaux locaux. De telles différences pourraient refléter la capacité de prévoyance.

Principaux travaux : Les idées de Coolidge et Wynn ont d’abord gagné une large attention dans un article de 2005 dans le Cambridge Archaeological Journal (“Working memory, its executive functions, and the emergence of modern thinking”). Ils ont développé cela dans Working Memory (chapitre dans “Cognitive Archaeology” 2007) et un aperçu accessible dans American Scientist (2007) intitulé “The Rise of Homo sapiens: The evolution of modern thinking” (plus tard également le titre de leur livre de 2009). Ils ont continué à publier sur la cognition néandertalienne, y compris un article de 2010 débattant de leur modèle avec d’autres chercheurs.

Critiques et discussion :

  • Tester l’hypothèse : Un défi est de savoir comment tester l’hypothèse EWM archéologiquement. Des critiques comme l’archéologue Paul Mellars et d’autres ont noté que les différences dans les vestiges archéologiques peuvent souvent être expliquées par des différences de culture ou d’environnement plutôt que par une cognition innée. Par exemple, certains soutiennent que les Néandertaliens n’ont pas fait d’art simplement parce que leurs structures sociales ou traditions ne l’accentuaient pas, pas parce qu’ils ne pouvaient pas. L’hypothèse de Wynn & Coolidge prédirait que partout où les humains modernes sont présents, nous devrions éventuellement voir des preuves de planification ou de symbolisme de haut niveau, même si elles sont rares – et en effet en Afrique nous voyons des symboles sporadiques plus tôt. Le débat devient : cette fréquence de preuves est-elle uniquement liée à la densité de population et à la préservation, ou vraiment à un saut cognitif ? Wynn & Coolidge diraient probablement que la cohérence et la gamme des comportements humains modernes indiquent une véritable différence de capacité interne.

  • Endocasts cérébraux néandertaliens : La recherche utilisant des endocasts et des morphométries 3D sur les cerveaux néandertaliens vs. AMH (lorsque les cerveaux laissent des empreintes dans les crânes) suggère quelques différences subtiles dans les tailles relatives des régions cérébrales. Une étude de 2018 (Pearce et al.) a soutenu que les humains modernes ont plus de volume cérébelleux (pouvant affecter la vitesse de traitement cognitif ou l’apprentissage) et les Néandertaliens relativement moins dans cette zone. Si c’est vrai, de telles différences neurologiques pourraient corréler avec des différences de mémoire de travail. Cependant, ces données sont encore limitées et les interprétations varient.

  • Chevauchement avec d’autres théories : L’hypothèse de la mémoire de travail n’est pas mutuellement exclusive avec d’autres. Elle complète bien l’idée de fluidité de Mithen (comme mentionné, l’EWM pourrait avoir permis l’intégration fluide de la pensée). Elle pourrait également être un facteur sous-jacent dans la mutation de Klein ou la réorganisation de Tattersall. En fait, si l’on se demande quelle mutation pourrait avoir amélioré le “logiciel cérébral” de Klein, un candidat de choix est quelque chose qui a amélioré notre fonction du cortex préfrontal (c’est-à-dire, la mémoire de travail). Coolidge & Wynn ont donné à cette notion une forme concrète.

  • Graduel vs. soudain : Les critiques d’une perspective gradualiste pourraient soutenir que la mémoire de travail pourrait avoir augmenté progressivement. Par exemple, entre Homo erectus, Homo archaïque, Néandertaliens et modernes, il pourrait y avoir eu une amélioration constante des fonctions exécutives, liée peut-être à l’augmentation de la taille du cerveau et à une vie sociale plus complexe. Si c’est le cas, pourquoi pointer une mutation ? Coolidge & Wynn ont parfois répondu que certains événements génétiques (comme les mutations de duplication) peuvent augmenter rapidement la capacité neuronale. Par exemple, ils ont réfléchi à une duplication de gène (comme SRGAP2 – bien que celui-ci soit survenu il y a ~2-3 millions d’années, pas pertinent pour 50k) qui affecte les réseaux neuronaux. Ils citent également comment de petits changements génétiques peuvent avoir de grands effets cognitifs (par exemple, la mutation FOXP2 dans la famille KE a eu un grand effet sur la parole). Une autre suggestion a été qu’une mutation affectant le timing du développement neuronal (hétérochronie) pourrait avoir permis aux cerveaux humains de développer plus d’interconnexions. Ces spécificités restent spéculatives.

  • Explications alternatives pour l’extinction néandertalienne : L’hypothèse EWM est parfois citée dans le contexte de pourquoi les Néandertaliens ont disparu. Si les humains modernes avaient une mémoire de travail supérieure et donc une meilleure adaptation et innovation, cela pourrait leur avoir donné un avantage concurrentiel. Cependant, d’autres proposent que des facteurs comme le climat, les maladies, ou simplement le métissage ont assimilé les Néandertaliens. Il est difficile d’isoler l’avantage cognitif, mais la persistance des humains modernes et non des Néandertaliens est au moins cohérente avec un écart de performance. Certains chercheurs ont tenté de réfuter un écart cognitif, soulignant que les Néandertaliens dans les bonnes circonstances ont montré des comportements auparavant considérés comme uniques aux sapiens (par exemple, chasse organisée, peut-être de l’art). Le consensus n’est pas atteint ; l’idée de Coolidge & Wynn reste une hypothèse viable parmi d’autres.

Résumé : Coolidge et Wynn ont introduit un candidat neurologique ciblé pour la révolution cognitive : la mémoire de travail améliorée/fonction exécutive. Leur théorie est attrayante car la mémoire de travail est mesurable aujourd’hui et connue pour sous-tendre la cognition complexe des mathématiques au langage en passant par la créativité. En alignant cela avec la chronologie archéologique, ils fournissent un lien tangible entre la fonction cérébrale et la production culturelle. L’hypothèse a attiré beaucoup d’attention et est fréquemment discutée dans la littérature sur l’évolution cognitive humaine. Elle a également encouragé une approche plus interdisciplinaire, amenant les psychologues dans la conversation avec les archéologues. Que ce soit ou non une seule mutation qui en soit responsable, l’idée que la capacité cognitive “dans la tête” était un facteur limitant et que Homo sapiens a franchi un seuil dans cette capacité est un thème commun partagé par beaucoup de ces chercheurs, avec Coolidge & Wynn lui donnant une forme neuropsychologique claire.

Andrew Cutler – Théorie d’Ève de la conscience (EToC)#

Contexte : Andrew Cutler, écrivant sur vectorsofmind.com, propose la Théorie d’Ève de la conscience (EToC) comme une explication alternative pour l’émergence de la cognition humaine moderne, abordant spécifiquement le “Paradoxe Sapient” – l’écart entre la modernité anatomique/comportementale (~200k-50kya) et l’essor de la civilisation (~12kya). Contrairement aux théoriciens se concentrant sur les changements biologiques autour de 50kya, Cutler soutient que la véritable conscience (conscience de soi récursive, le “je” subjectif) est un développement beaucoup plus récent, principalement culturel et psychologique survenant vers la fin de la dernière ère glaciaire (~15kya).

Argument clé : L’EToC s’appuie sur, mais redéfinit et réinterprète significativement, le concept de l’esprit bicaméral de Julian Jaynes. Cutler postule que les premiers humains ont vécu des directives internes (du surmoi, représentant les normes sociales ou les figures d’autorité) comme des voix externes (“dieux”). La conscience, le “je analogique” ou la conscience de soi récursive, a émergé lorsque l’ego est devenu autoréférentiel, créant un espace interne pour l’introspection et le choix (“Je pense, donc je suis”). Cette transition n’était pas principalement génétique mais mémétique – une innovation culturelle qui s’est répandue. L’EToC propose distinctement que les femmes, en raison de pressions évolutives favorisant la cognition sociale et la théorie de l’esprit, ont atteint la conscience de soi récursive en premier (“Ève”). Cela a initié une période de “Matriarcat primordial”, dont les échos se retrouvent dans les mythes mondiaux. La conscience s’est ensuite propagée aux hommes, souvent à travers des rituels d’initiation (“Le Rituel”). Cutler suggère que ces rituels pourraient avoir impliqué des enthéogènes, en mettant spécifiquement en avant le venin de serpent (“Le Culte du Serpent”) en raison de ses propriétés psychoactives, de son contenu en facteur de croissance nerveuse et de son association mondiale avec les mythes de création, la sagesse et la transformation. L’émergence de la conscience de soi, apportant avec elle la capacité de planification, de pensée abstraite, de culture symbolique et de conscience de la mortalité (anxiété de la mort), a finalement catalysé la Révolution néolithique (agriculture, établissements). Le soi, initialement transmis culturellement, est finalement devenu génétiquement ancré grâce à une forte pression de sélection favorisant les cerveaux propices à la construction de l’ego.

Preuves utilisées : L’EToC s’appuie sur un large éventail de preuves interdisciplinaires :

  • Mythologie comparative : Interprète les mythes de création (Genèse, mythes mondiaux de serpents/dragons, histoires de matriarcat primordial) comme des récits phénoménologiques ou des souvenirs culturels de la transition vers la conscience de soi. Met en avant l’association des serpents avec la sagesse, la création et les enthéogènes, et le rôle des figures féminines (Ève, Grandes Déesses).

  • Archéologie : Utilise le Paradoxe Sapient lui-même comme preuve d’une transition cognitive plus tardive. Cite l’apparition relativement tardive de la pensée abstraite incontestée (par exemple, la datation de l’art magdalénien par Wynn ~16kya) et de la complexité symbolique (la “Révolution humaine” de Renfrew ~12kya) comme s’alignant avec la chronologie de l’EToC. Note la prévalence du symbolisme du serpent sur des sites comme Göbekli Tepe (~11kya).

  • Neurosciences et psychologie : S’appuie sur des concepts de récursion comme fondamentaux pour la conscience, le langage et la planification. Met en avant les différences de sexe dans la structure/fonction cérébrale liées à la cognition sociale et au langage (par exemple, influence du chromosome X) pour soutenir l’aspect “Ève”. Référence les idées de Jaynes sur le bicaméralisme et les voix intérieures.

  • Génétique et linguistique : Note les signaux récents de sélection sur les gènes liés à la cognition/au cerveau (surtout sur le chromosome X) au cours des 50 000 dernières années. Explore les preuves linguistiques comme les racines profondes potentielles de certains pronoms (“je”). Considère comment la conscience pourrait se propager d’abord mémétiquement, puis entraîner une sélection génétique.

  • Recherche sur les enthéogènes : Cite des preuves des propriétés psychoactives du venin de serpent, du contenu en NGF et de son utilisation rituelle dans diverses cultures (Inde, Grèce antique) comme support pour l’hypothèse du “Culte du Serpent”.

Critiques et considérations : L’EToC présente une redatation radicale et un mécanisme pour la conscience par rapport aux modèles biologiques traditionnels de 50kya. Les considérations clés incluent :

  • Datation tardive : Placer l’émergence de la pleine conscience récursive (~15kya) significativement après la modernité comportementale (~50kya) nécessite de découpler ces événements, remettant en question les modèles qui les lient directement.

  • Propagation mémétique : L’idée que la conscience se propage culturellement/mémétiquement avant de devenir génétiquement fixée est peu conventionnelle et nécessite des preuves solides pour les rituels proposés et leur efficacité.

  • Interprétation mythologique : La forte dépendance à l’interprétation des anciens mythes comme des récits historiques ou phénoménologiques précis est débattue au sein de l’anthropologie.

  • Hypothèse du venin de serpent : Bien qu’intrigante, la preuve archéologique directe de l’utilisation du venin de serpent comme enthéogène primordial répandu est actuellement limitée par rapport à des substances comme l’ocre ou des hallucinogènes végétaux connus.

  • Matriarcat primordial : Bien que des mythes existent, les preuves archéologiques et anthropologiques d’un matriarcat global littéral précédant le patriarcat sont rares et débattues ; l’EToC le cadre plus en termes de femmes pionnières des innovations cognitives/culturelles.

Résumé : La théorie de la conscience d’Ève d’Andrew Cutler propose une synthèse novatrice visant à résoudre le paradoxe sapient en suggérant une émergence récente et culturellement motivée de la conscience de soi récursive (~15kya), menée par les femmes et potentiellement facilitée par des rituels enthéogènes impliquant des serpents. Elle remet en question les chronologies et mécanismes conventionnels, en mettant l’accent sur la coévolution gène-culture et en intégrant des perspectives issues de la mythologie, de l’archéologie, des neurosciences et de la génétique pour soutenir que le chemin vers la pleine sapience humaine a été un processus plus tardif, plus dramatique et peut-être plus genré qu’on ne le suppose souvent.

Convergence et divergence des points de vue#

Bien que se concentrant sur différents aspects, ces théoriciens partagent une conviction commune : l’unicité cognitive d’Homo sapiens est née d’un changement relativement soudain, biologiquement motivé, plutôt que d’une lente évolution culturelle. Ils pointent tous le Paléolithique supérieur (~50 000 ans) comme le moment décisif où ce changement est devenu visible à l’échelle mondiale. Plusieurs fils conducteurs traversent leurs arguments : • Quelque chose s’est “activé” : Qu’il s’agisse d’une mutation, d’une réorganisation ou d’un seuil, chaque théorie postule un point à partir duquel les humains ont commencé à penser de manière fondamentalement nouvelle. La mutation de Klein a “réorganisé le cerveau” pour la symbolisation ; la mutation de Chomsky a donné la capacité pour le langage infini ; l’émergence de la syntaxe de Bickerton a été un changement catastrophique ; la capacité symbolique de Tattersall est restée dormante jusqu’à être déclenchée ; les domaines de Mithen se sont fusionnés en un esprit fluide ; la mémoire de travail de Wynn & Coolidge s’est étendue à un nouveau niveau. Dans tous les cas, un saut qualitatif est souligné, pas seulement une accumulation quantitative de savoir-faire. • Le langage et le symbolisme comme catalyseurs/indicateurs : Presque toutes les figures identifient le langage ou la pensée symbolique comme centraux à la révolution. Klein voit le langage comme un résultat probable de sa mutation, qui a ensuite stimulé la créativité. Chomsky identifie carrément le changement comme l’émergence de la faculté du langage elle-même. Bickerton et Mithen donnent tous deux au langage un rôle de premier plan (Bickerton comme produit du saut, Mithen à la fois comme produit et facilitateur de la fluidité cognitive). Tattersall et Wynn/Coolidge considèrent le langage/les symboles comme le mécanisme crucial de “déverrouillage” ou la manifestation première de la nouvelle cognition. En bref, le langage complexe et le raisonnement symbolique sont les marques de la cognition moderne que ces chercheurs cherchent à expliquer – et la plupart d’entre eux les lient étroitement ensemble. Là où ils diffèrent, c’est si le langage a conduit au symbolisme (Chomsky, Bickerton) ou si le symbolisme était latent et avait besoin du langage (Tattersall), mais l’interaction est intime. • “Explosion” archéologique : Toutes les théories s’appuient sur l’apparition relativement abrupte (en termes géologiques) de choses comme l’art, l’ornementation personnelle, les industries d’outils variées, le commerce à longue distance, etc., à partir d’environ 50 000 ans. Ce dossier est une justification principale pour dire qu’une révolution a eu lieu. Même si de nouvelles découvertes ont repoussé certains comportements symboliques plus tôt, la floraison dramatique au Paléolithique supérieur reste un phénomène réel à expliquer. Ces chercheurs utilisent souvent des exemples similaires (peintures rupestres, figurines de Vénus, sépultures avec objets funéraires, outils en os standardisés) pour illustrer le contraste frappant entre avant et après 50 000 ans. Dans leurs récits, ce sont des conséquences d’une mise à niveau cognitive : une fois le cerveau changé, les comportements ont suivi. • Unicité humaine et espèces rivales : Un point de convergence est l’idée que les Néandertaliens (et d’autres hominidés contemporains) manquaient du package cognitif complet. Ainsi, notre espèce a soit acquis quelque chose de spécial, soit utilisé quelque chose de spécial que les autres n’ont pas. Klein, par exemple, soutient que les Néandertaliens ne possédaient pas le vrai langage/symbolisme (d’où leur culture relativement statique). Chomsky implique que les Néandertaliens manquaient de la mutation de récursion (bien que cela soit débattu). Mithen et Wynn/Coolidge contrastent explicitement les modernes et les Néandertaliens en termes cognitifs. Tattersall qualifie les Néandertaliens de “non symboliques”. Cette distinction nette a été un postulat unificateur. C’est aussi un domaine où les critiques convergent : de nombreux chercheurs qui repoussent disent effectivement “les Néandertaliens n’étaient pas si différents ; peut-être qu’aucune révolution unique n’a eu lieu”. De nouvelles preuves des capacités néandertaliennes ont donc été un défi pour tous ces modèles, et chaque partisan y a répondu à sa manière (certains concédant que les Néandertaliens pourraient avoir eu un symbolisme très limité, mais maintenant un écart de degré ou de nature).

Malgré ces éléments partagés, les divergences entre les théoriciens sont tout aussi importantes : • Nature du changement biologique : C’est la plus grande différence. Est-ce une mutation génétique dans un domaine spécifique (la mutation inconnue de Klein, la mutation Merge de Chomsky, le complexe de gènes de la mémoire de travail de Coolidge/Wynn) ? Ou est-ce une réorganisation neuronale plus large (le changement développemental de Tattersall, la connectivité accrue entre les modules de Mithen) ? La vision de Chomsky est étroite (un micro-pas a créé une macro-capacité : la récursion), tandis que celle de Mithen est large (toute l’architecture de l’esprit est devenue plus intégrée). Klein et Coolidge/Wynn se situent en quelque sorte entre les deux : ils ne spécifient pas un seul gène, mais le cadrent toujours comme une “mise à niveau” biologique qui pourrait impliquer plusieurs gènes affectant un système (langage ou mémoire). Celle de Bickerton est quelque peu intermédiaire : il ne l’attache pas à un gène, mais à un événement évolutif – peut-être lié à la taille du cerveau ou au câblage interne qui a permis la syntaxe. Il y a donc une variation de cause unique à cause systémique. • Chronologie du changement : Tous se concentrent sur environ 40 à 70 000 ans, mais Tattersall et Mithen admettent que le changement génétique/cérébral pourrait avoir eu lieu plus tôt (autour de l’origine d’H. sapiens, ~200k) avec un décalage dans l’expression. En revanche, Klein, Bickerton et probablement Chomsky impliquent que le changement génétique s’est produit plus près dans le temps de l’explosion comportementale elle-même (~50-80k). Wynn & Coolidge mentionnent généralement ~60k comme une estimation pour la mutation (certains la lient à la population qui a quitté l’Afrique à cette époque). Cela affecte la façon dont ils interprètent les premiers indices de comportement moderne : Tattersall/Mithen diraient que ces indices (comme l’ocre de Blombos) pourraient être des premières lueurs d’une capacité déjà présente mais rarement utilisée, tandis que Klein pourrait douter de leur validité ou de leur signification (penchant vers “la vraie capacité n’était pas encore là”). • Aspects graduels vs. soudains : Bien que tous soulignent une révolution, certains admettent un mélange de préparation graduelle. Mithen, par exemple, dit que l’apparition archéologique est soudaine, mais que “l’architecture cognitive pour la fluidité” pourrait avoir surgi plus tôt ou être incertaine. Tattersall dit explicitement que devenir humain a été “complexe dans son déroulement” et pas un moment unique – il reconnaît que ce n’était pas littéralement du jour au lendemain, mais il nie toujours un ajustement fin lent et incrémental. Les déclarations les plus fortes de Chomsky sonnent comme si littéralement une génération a eu la mutation ; Bickerton suggère également quelques générations pour que la syntaxe se répande. Wynn & Coolidge penchent vers un événement spécifique mais ouvert à ce qu’il prenne du temps à se propager. Ces nuances montrent certains divergents sur la netteté de la rupture. • Mise en avant des preuves : Chaque chercheur met en avant des preuves différentes : • Génétique : Klein et le camp de Chomsky se tournent vers la génétique (par exemple, FOXP2, modèles de génétique des populations) plus que les autres. • Linguistique : Chomsky et Bickerton se plongent dans la linguistique (grammaire universelle, pidgins, créoles, etc.), que les archéologues comme Klein pourraient ne pas utiliser directement. • Neurosciences : Wynn & Coolidge citent des expériences en neurosciences et psychologie (modèle de mémoire de travail de Baddeley, connectivité du lobe frontal, etc.) ; Mithen fait également référence à la littérature en sciences cognitives sur la modularité. • Archéologique : Tous se réfèrent aux artefacts, mais Klein et Mithen s’y attardent probablement le plus. Klein énumère des outils avancés, de l’art, etc., comme preuves, et Mithen interprète leur signification en termes de domaines cognitifs (par exemple, l’art représentant une pensée fluide). Tattersall utilise également beaucoup la chronologie des fossiles et des artefacts. • Influence actuelle et controverse : En termes d’influence, les idées de Klein et Tattersall ont été très influentes en paléoanthropologie et sont encore discutées dans les manuels, bien que beaucoup favorisent maintenant un “modèle mixte” reconnaissant une accumulation plus graduelle en Afrique avec peut-être un franchissement de seuil ultérieur. La théorie de Chomsky est très influente en linguistique et en philosophie de l’esprit, mais en paléoanthropologie, elle est souvent vue avec scepticisme (en raison de preuves directes rares). Le protolangage de Bickerton est un concept largement accepté ; même les gradualistes intègrent souvent une étape de protolangage (bien que tout le monde ne soit pas d’accord pour dire qu’elle était aussi tardive ou aussi soudaine qu’il le pensait). La fluidité cognitive de Mithen est devenue un concept de base en archéologie cognitive et est fréquemment citée dans les discussions sur les origines de l’art et de la religion. L’hypothèse de Coolidge & Wynn est relativement plus récente (années 2000) mais a gagné en traction ; elle apparaît souvent dans la littérature examinant les différences entre les Néandertaliens et les modernes.

Notamment, ces idées ne sont pas mutuellement exclusives. En fait, certains chercheurs tentent de les synthétiser. Par exemple, on pourrait émettre l’hypothèse qu’une mutation génétique a amélioré la mémoire de travail (Wynn & Coolidge) qui a permis l’intégration des domaines cognitifs (fluidité de Mithen), permettant ainsi l’émergence du langage syntaxique (Bickerton/Chomsky) et de la culture symbolique (révolution comportementale de Tattersall/Klein). Une telle vue composite pourrait en effet être plus proche de la réalité – plusieurs facteurs et capacités se réunissant pour pousser les humains au-delà d’un seuil cognitif.

Réaction académique (générale) : En tant que groupe, les partisans d’une révolution paléolithique supérieure biologiquement motivée ont été contestés par ceux qui prônent le gradualisme ou des modèles à plusieurs étapes. McBrearty & Brooks (2000) est une critique fondamentale affirmant que la plupart des comportements supposés “modernes” ont des racines plus profondes en Afrique. Eux et d’autres (par exemple, Henshilwood, d’Errico) ont documenté des instances antérieures de pigments, de symboles, d’outils complexes, suggérant une assemblée progressive du “package de modernité comportementale”. Ils soulignent également qu’en se concentrant uniquement sur le dossier européen (où le changement apparaît frappant), on pourrait manquer que le dossier africain (bien que fragmentaire) montre des développements graduels. Cette critique a quelque peu adouci le récit de la “révolution” ces dernières années, beaucoup parlant maintenant de “pas graduels vers la modernité ponctués peut-être par un point de basculement”. Les grandes figures profilées ici se sont ajustées de diverses manières (par exemple, Klein a reconnu plus de preuves africaines mais maintient toujours qu’un déclencheur génétique tardif est probable). Une autre ligne de réaction vient de ceux qui étudient la culture cumulative : des chercheurs comme Michael Tomasello proposent que ce qui distingue vraiment les humains est notre capacité à l’apprentissage social de haute fidélité, qui produit une culture cumulative. Cette capacité elle-même pourrait avoir évolué progressivement et atteint une masse critique au Paléolithique supérieur, mais par des moyens sociaux/démographiques plutôt qu’une mutation spécifique à cette époque. De telles théories mettent moins l’accent sur les changements cérébraux soudains et plus sur l’amélioration progressive de l’apprentissage ou de la coopération.

Pourtant, même au sein des explications gradualistes ou alternatives, beaucoup acceptent que quelque chose de qualitatif a émergé avec Homo sapiens – le débat porte principalement sur comment et quand plutôt que si. Les idées de Klein, Chomsky, Mithen, Tattersall, Bickerton, Coolidge & Wynn ont été instrumentales pour encadrer l’enquête scientifique. En posant des hypothèses audacieuses, ils ont incité à la recherche en archéogénétique, aux fouilles en Afrique et au Levant pour des symboles antérieurs, aux expériences d’enseignement de la fabrication d’outils en pierre, et aux simulations de l’évolution du langage. Ce faisant, ils ont assuré que la question de “ce qui nous rend cognitivement uniques, et pourquoi cela a-t-il fleuri au Paléolithique supérieur ?” reste au premier plan de la paléoanthropologie et des sciences cognitives. Chacune de leurs théories a ses partisans et ses critiques, et il est possible que des éléments de toutes soient pertinents pour l’histoire complète.


FAQ #

Q 1. Qu’est-ce que la “Révolution Cognitive” ? A. Elle se réfère à une période proposée il y a environ 50 000 ans (Paléolithique supérieur) lorsque Homo sapiens aurait subi des changements cognitifs rapides, conduisant à la “modernité comportementale” – marquée par un art sophistiqué, des outils, un comportement symbolique, et possiblement le langage – pensée par certains théoriciens (comme Cutler, Klein, Chomsky, Tattersall, Mithen, Coolidge & Wynn) être motivée par l’évolution biologique (par exemple, mutation génétique, réorganisation cérébrale).

Q 2. Quel est le principal désaccord parmi ces théoriciens ? A. Bien que la plupart s’accordent sur un changement cognitif significatif devenant évident autour de 50kya, ils divergent sur le déclencheur et le timing spécifiques. Les moteurs proposés incluent une mutation neuronale (Klein), la syntaxe récursive/Merge (Chomsky), la syntaxe émergeant du protolangage (Bickerton), l’activation culturelle d’un potentiel latent (Tattersall), la fluidité cognitive (Mithen), la mémoire de travail améliorée (Coolidge & Wynn), ou une émergence culturelle plus tardive (~15kya) de la conscience de soi récursive (EToC de Cutler).

Q3. Un scénario composite pourrait-il être plus réaliste ? Oui. Une amélioration modeste de la mémoire de travail pourrait permettre la fluidité cognitive, qui favorise la syntaxe, amplifiée par l’expansion démographique ; des facteurs rituels pourraient alors consolider la pleine conscience de soi. Les modèles multi-couches sont de plus en plus explorés.

Q4. Quelles sources de preuves ancrent chaque camp ?

  • Génomique : Klein ; Coolidge & Wynn.
  • Linguistique/Psycholinguistique : Chomsky ; Bickerton.
  • Archéologie cognitive : Mithen ; Tattersall.
  • Mythologie comparative + gène-culture : Cutler.

Références#

  1. Klein, R.G. (2002). The Dawn of Human Culture. John Wiley & Sons. (Présente le cas d’une révolution cognitive génétique ~50k ans.)
  2. Hauser, M., Chomsky, N., & Fitch, W. (2002). “The Faculty of Language: What is it, Who has it, and How did it evolve?” Science, 298(5598), 1569-1579. (Propose la récursion comme le saut cognitif humain spécifique clé.)
  3. Berwick, R.C. & Chomsky, N. (2016). Why Only Us: Language and Evolution. MIT Press. (Argumente pour une mutation unique produisant l’opération Merge ~80k ans.)
  4. Bickerton, D. (1990). Language and Species. University of Chicago Press. (Introduit l’idée de protolangage et l’émergence catastrophique de la syntaxe.)
  5. Bickerton, D. (2014). More Than Nature Needs: Language, Mind, and Evolution. Harvard Univ. Press. (Met à jour son argument avec des scénarios écologiques pour l’origine du langage.)
  6. Tattersall, I. (1998). Becoming Human: Evolution and Human Uniqueness. Harcourt Brace. (Fait valoir une origine tardive de la conscience symbolique, possiblement via le langage comme exaptation.)
  7. Tattersall, I. (2009). “Human Origins: Out of Africa.” Proceedings of the National Academy of Sciences, 106(38), 16018-16021. (Passe en revue les preuves ; souligne l’esprit symbolique comme récent et unique.)
  8. Mithen, S. (1996). The Prehistory of the Mind. Thames & Hudson. (Propose la fluidité cognitive émergeant au Paléolithique supérieur comme clé de la créativité humaine.)
  9. Mithen, S. (2005). The Singing Neanderthals. Harvard Univ. Press. (Explore la musique et le protolangage, suggérant des différences entre la cognition néandertalienne et moderne.)
  10. Coolidge, F.L. & Wynn, T. (2005). “Working memory, its executive functions, and the emergence of modern thinking.” Cambridge Archaeological Journal, 15(1), 5-26. (Introduit l’hypothèse de la mémoire de travail améliorée.)
  11. Coolidge, F.L. & Wynn, T. (2007). “The Rise of Homo sapiens: The Evolution of Modern Thinking.” American Scientist, 95(5), 444-451. (Aperçu accessible de leurs idées comparant la cognition humaine moderne et néandertalienne.)
  12. McBrearty, S. & Brooks, A.S. (2000). “The revolution that wasn’t: a new interpretation of the origin of modern human behavior.” Journal of Human Evolution, 39(5), 453-563. (Critique clé du concept de “révolution humaine”, plaidant pour une accumulation graduelle en Afrique.)
  13. Zilhão, J. (2010). “Complexity in Neanderthal Culture.” Diogenes, 57(2), 7-20. (Présente des preuves du comportement symbolique néandertalien, remettant en question les distinctions cognitives nettes.)
  14. Mellars, P. (2006). “Why did modern human populations disperse from Africa ca. 60,000 years ago? A new model.” Current Anthropology, 47(1), 97-133. (Considère la mutation génétique/cognitive vs. les explications climatiques et démographiques.)
  15. [Des citations supplémentaires en ligne ci-dessus fournissent des détails spécifiques à partir d’interviews, d’articles de magazines et d’études liées aux revendications de chaque chercheur.]