TL;DR

  • La Nouvelle‑Guinée abrite >900 langues réparties en ≥23 familles ; l’Australie est dominée par le pama‑nyungan — deux moitiés de l’ancienne Sahul avec de longues opportunités de contact Greenhill 2015, Bouckaert–Bowern–Atkinson 2018.
  • Le détroit de Torres est un pont linguistique vivant : Meriam Mir (papou, Eastern Trans‑Fly) et Kalaw Lagaw Ya (australien, pama‑nyungan) entretiennent depuis des siècles des interactions étroites, du bilinguisme et des échanges structurels Hunter 2011, Harvey 2021 LDD snapshot.
  • Parmi les chercheurs qui ont défendu l’existence de liens profonds Australie–PNG, on compte Johanna Nichols (« Sahul as a linguistic area »), Reesink–Singer–Dunn (phylogénies structurelles montrant des indices de connexions anciennes), ainsi que les macro‑propositions plus anciennes de Greenberg et Wurm Nichols 1997 in OUP vol., Reesink et al. 2009, Greenberg 1971, Wurm 1982.
  • La géographie a aidé : l’Australie et la Nouvelle‑Guinée formaient une seule masse continentale (Sahul) pendant la majeure partie des 100 000 dernières années ; les transgressions marines ~15–8 ka ont créé le détroit de Torres mais pas un pare‑feu culturel Malaspinas et al. 2016, Williams et al. 2018.
  • En résumé : le contact est certain ; une parenté profonde est suffisamment plausible pour justifier des tests continus — en particulier dans le détroit et la frange sud‑papoue — en combinant lexique, pronoms et typologie Ross 2005, Bowern & Atkinson 2012.

Que comparons‑nous exactement ?#

Deux écologies linguistiques massives et voisines :

  • Papouasie‑Nouvelle‑Guinée & région de Nouvelle‑Guinée (PNG+) : >900 langues, ≥23 familles ; la famille Trans‑Nouvelle‑Guinée (TNG) est l’une des plus grandes du monde Greenhill 2015, PLOS One.
  • Australie : dominée par la famille pama‑nyungan qui couvre ~90 % du continent ; sa structure interne et sa diffusion holocène sont désormais modélisées quantitativement Bowern & Atkinson 2012 ; Bouckaert et al. 2018.

Pendant la majeure partie du dernier cycle glaciaire, ces deux ensembles formaient une seule masse continentale (Sahul) ; l’inondation ultérieure (≈15–8 ka) a ouvert le détroit de Torres, un corridor étroit parsemé d’îles qui a continué à faciliter les déplacements et les échanges plutôt qu’à les interrompre Malaspinas et al. 2016 ; Williams et al. 2018.


Le détroit de Torres comme pont linguistique (et non mur)#

Des siècles de commerce, de rituels et de liens de parenté à travers le détroit ont laissé des signatures linguistiques nettes. D’un côté, on parle une langue australienne ; de l’autre, une langue papoue. Elles se rencontrent dans les chants, les emprunts lexicaux et les répertoires bilingues.

Deux langues clés en contact#

LangueAffiliationSignaux de contactRéférences principales
Kalaw Lagaw Ya (KLY ; W/C détroit de Torres)Australienne (pama‑nyungan, sous‑groupe paman)Îles occidentales & centrales (Saibai, Boigu, Dauan ; Badu, Mabuyag, etc.)Lingua franca historique dans la région ; forte influence papoue & austronésienne revendiquée dans les sources ethno‑historiques ; bilinguisme continu avec MM et le créoleHarvey 2021 LDD snapshot ; Hunter 2011
Meriam Mir (MM ; E détroit de Torres)Papoue (Eastern Trans‑Fly)Îles orientales (Mer, Dauar, Erub)Multilinguisme trans‑détroit ; trafic lexical ; circulation rituelle/chantéeHarvey 2021 LDD snapshot ; Hunter 2011

La classification de KLY comme langue pama‑nyungan est solide, même si les chercheurs documentent de fortes couches de contact papoues/austronésiennes ; MM est classée comme langue papoue Eastern Trans‑Fly Harvey 2021 ; Hunter 2011. Les récits ethnohistoriques et communautaires font état de mélanges culturels et linguistiques sur de nombreuses générations ; certaines analyses situent la formation ou la restructuration organisée de KLY au milieu ou à la fin de l’Holocène, ce qui est cohérent avec la poursuite de la mobilité trans‑détroit après la transgression marine Mitchell 2015 ; Williams et al. 2018.


Qui a défendu une connexion historique PNG–Australie ?#

Ce n’est pas une idée marginale. Plusieurs lignes de recherche — typologie, phylogénies structurelles, classification comparative et linguistique aréale — envisagent Sahul comme un théâtre historique cohérent.

Auteur(s) & annéeThèse (brève)Mécanisme / anglePreuves citées
Johanna Nichols (1997)Sahul as a linguistic area « sprung from two common sources »Aire linguistique profonde à travers des réseaux du Pléistocène tardif/Holocène ; diffusion à travers les plateaux aujourd’hui submergésChapitre dans Archaeology and Linguistics (OUP) ; présenté dans Reesink et al. 2009, refs. 5
Reesink, Singer & Dunn (2009)Le regroupement structurel montre des blocs australiens vs non austronésiens, avec métissage et indices de connexions anciennesRegroupement bayésien de traits typologiquesPLOS Biology
Greenberg (1971) ; Wurm (1982)Audacieuse macro‑proposition indo‑pacifique (papou + tasmanien + andamanais ; quelques variantes) situant Sahul/Near Oceania dans un cadre historique communMacro‑comparaison (lexique + grammaire)Greenberg 1971 ; synthèse dans Pawley 2009
Ross (2005) ; Pawley (2005)Consolidation de la famille Trans‑Nouvelle‑Guinée ; stabilise le versant papou de toute comparaison trans‑SahulDiagnostics pronominaux ; méthode comparativeCités dans Greenhill 2015
Hunter (2011) ; Harvey (2021)Le détroit de Torres comme zone de contact intense unissant le MM papou et le KLY australienLinguistique de contact ; documentation historiqueHunter 2011 ; Harvey 2021

Autant que je puisse en juger, voici la lecture actuelle « neutre à positive » : le contact est certain, et il existe des signaux typologiques crédibles compatibles avec des liens plus profonds à l’époque de Sahul, qui méritent d’être poursuivis par un travail comparatif plus strict Reesink et al. 2009.


Comment les pièces s’articulent (mécaniquement)#

  1. Opportunité : la paléogéographie de Sahul reliait le nord de l’Australie au sud de la Nouvelle‑Guinée jusqu’à ~8 ka ; après l’inondation, les traversées courtes via le détroit sont restées fréquentes Malaspinas et al. 2016 ; Williams et al. 2018.
  2. Interaction : les réseaux d’échange ont produit des changements induits par le contact — emprunts lexicaux, calques, styles spécifiques à certains genres (chant/rituel), et peut‑être une morphosyntaxe subtile dans le couple KLY↔MM Hunter 2011.
  3. Clades de fond : le versant papou forme un ensemble cohérent (TNG et voisins), tandis que la phylogénie interne/diffusion du pama‑nyungan est de mieux en mieux résolue ; ces deux conditions sont préalables à tout test de macro‑signaux trans‑Sahul Greenhill 2015 ; Bowern & Atkinson 2012 ; Bouckaert et al. 2018.
  4. Convergences typologiques à l’échelle de Sahul : des schémas lexicalo‑sémantiques régionaux — par ex. la colexification de feu et bois de feu dans les langues papoues et australiennes — suggèrent une vaste aire de diffusion Schapper, San Roque & Hendery 2016, décrit ici.

Ce qui en découle (tests que vous pouvez lancer rn)#

  • Diagnostics de contact dans le détroit : compiler des lexiques parallèles KLY/MM pour la navigation, la parenté, le rituel ; identifier les emprunts probables vs les cognats hérités ; vérifier la directionnalité par rapport aux voisins papous (Trans‑Fly, Kiwai) Hunter 2011.
  • Micro‑comparaisons pronominales : utiliser les paradigmes pronominaux à la Ross comme « tests phylogénétiques rapides » pour limiter les faux positifs dans la comparaison profonde Ross 2005, via Greenhill 2015 refs.
  • Intégrer phylogénies structurelles + lexicales : suivre le regroupement structurel de Reesink–Singer–Dunn mais valider tout « signal ancien » par des ensembles de cognats solides issus de bases de données expertisées (Chirila ; TransNewGuinea.org) Bowern 2016 ; Greenhill 2015.

FAQ#

Q1. Qui a explicitement relié les langues de PNG et d’Australie à l’échelle de Sahul ?
R. Johanna Nichols a présenté Sahul comme une aire linguistique (1997), et Reesink–Singer–Dunn (2009) ont trouvé des indices de connexions anciennes via le regroupement structurel ; auparavant, Greenberg/Wurm avaient proposé des macro‑familles situant la région dans un cadre historique commun. Voir Nichols (1997), Reesink et al. (2009), Greenberg (1971), Wurm (1982).

Q2. Existe‑t‑il actuellement une famille généalogique « de manuel » unissant l’Australie et les langues papoues (TNG) ?
R. Aucune macro‑famille n’est établie ; l’argument positif repose sur la certitude du contact + des signaux typologiques. Des clades solides existent de part et d’autre (pama‑nyungan ; TNG), ce qui constitue la base nécessaire à tout test plus profond [Bowern & Atkinson 2012] ; [Greenhill 2015].

Q3. Pourquoi se focaliser sur le détroit de Torres ?
R. C’est la zone de contact bidirectionnel la plus claire : une langue papoue (Meriam Mir) et une langue australienne (KLY) en contact durable, avec une ethnographie et des textes riches à exploiter [Hunter 2011] ; [Harvey 2021].

Q4. La montée du niveau marin n’a‑t‑elle pas rompu la connexion ?
R. Non. La dislocation de Sahul (~15–8 ka) a créé le détroit, mais l’archéologie, la génétique et la linguistique attestent toutes une mobilité et des échanges continus par la suite [Malaspinas et al. 2016] ; [Williams et al. 2018].


Sources#

  • Bowern, C. & Atkinson, Q. « Computational phylogenetics and the internal structure of Pama–Nyungan. » Language 88(4) (2012) : 817–845. open-access PDF.
  • Bowern, C. « Chirila: Contemporary and Historical Resources for the Indigenous Languages of Australia. » Language Documentation & Conservation 10 (2016) : 1–44. OA.
  • Bouckaert, R., Bowern, C., & Atkinson, Q. « The origin and expansion of Pama–Nyungan languages across Australia. » Nature Ecol. & Evol. 2 (2018) : 741–749. PDF.
  • Greenhill, S. « TransNewGuinea.org: An Online Database of New Guinea Languages. » PLOS ONE 10(10) (2015) : e0141563. OA.
  • Greenberg, J. « The Indo-Pacific Hypothesis. » In Linguistics in Oceania (1971) : 807–876. doi:10.1515/9783111418827-021.
  • Harvey, M. « Kalaw Kawaw Ya (Saibai) Language Snapshot. » Language & Linguistics in Melanesia 39 (2021). PDF.
  • Hunter, T. « Reappraising the effects of language contact in the Torres Strait. » (2011) University of Queensland. OA thesis/article link.
  • Malaspinas, A.-S. et al. « A genomic history of Aboriginal Australia. » Nature 538 (2016) : 207–214. PDF.
  • Mitchell, R. « Ngalmun Lagaw Yangukudu: The language of our homeland. » In Memoirs of the Queensland Museum – Culture 8(1) (2015). catalog page.
  • Nichols, J. « Sprung from two common sources: Sahul as a linguistic area. » In McConvell & Evans (eds.), Archaeology and Linguistics (1997). Cité et résumé dans Reesink et al. 2009.
  • Reesink, G., Singer, R., & Dunn, M. « Explaining the Linguistic Diversity of Sahul Using Population Models. » PLOS Biology 7(11) (2009) : e1000241. OA.
  • Ross, M. « Pronouns as a preliminary diagnostic for grouping Papuan languages. » In Papuan Pasts (2005). Référence via Greenhill 2015.
  • Schapper, A., San Roque, L., & Hendery, R. « Tree, firewood and fire in the languages of Sahul. » (2016). Présenté dans le résumé RG : link.
  • Williams, A. N., Ulm, S., Turney, C. S. M., Rohde, D., & White, G. « Sea-level change and demography during the last glacial termination and early Holocene across the Australian continent. » (2018) accepted MS PDF.
  • Wurm, S. A. The Papuan Languages of Oceania (1982). Présenté dans Palmer (ed.) The Languages and Linguistics of the New Guinea Area (2017) overview page.