TL;DR

  • En quechua, ñawi signifie œil mais aussi ouverture/trou/portail ; il désigne des ouvertures dans les corps, les paysages, les textiles et le ciel OLRC Kechwa Dictionary (2024) ; Wiktionary, s.v. ñawi.
  • Les tisserandes andines brodent littéralement des « yeux » dans les bordures — ñawi awapa — comme des lisières vigilantes qui lient/protègent le champ du textile Smithsonian Folklife, Ñawi Awapa.
  • Dans la cosmologie stellaire inka, Llamaqñawin (« les yeux du lama ») sont α & β Centauri, des repères calendaires liés à l’eau/au rituel à Pachacámac NMAI, Ways of Living ; Piñasco 2024.
  • Thèse : ñawi est la forme que ŋAN remplit — ouverture pour le souffle/l’âme ; le « je »/I et l’eye convergent comme entrées perceptives. (Cf. le latin anima « souffle/âme » et le grec pneûma « souffle/esprit » Lewis–Short : anima ; LSJ : pneûma.)
  • Lien latéral : le quechua du Sud a pour première personne ñuqa « je » (nasale palatale), phonotactiquement proche des formes ŋA-, mais la généalogie est incertaine — noter, ne pas sur‑ajuster OAPEN, Grammar of Yauyos Quechua ; UT Austin Quechua Tinkuy.

Le modèle de l’ouverture : ñawi comme lieu de rencontre du monde et du souffle#

Le texte précédent défendait l’hypothèse d’un fossile lexical profond, le *ŋAN du proto‑Sapiens, liant souffle ⇄ âme ⇄ soi à travers les familles. J’ajoute ici la moitié complémentaire : ñawi — l’ouverture. Si ŋAN est le flux, ñawi est le port : une ouverture qui admet, émet et surveille.

Dans le lexique quechua, ñawi est œil ; les sens étendus incluent visage et ouverture/trou (penser à « l’œil d’une aiguille », ojo de agua comme source) OLRC Kechwa Dictionary (2024) ; Wiktionary, s.v. ñawi. Ce n’est pas seulement de la polysémie ; c’est de l’ontologie. Dans les Andes, les « yeux » prolifèrent comme éléments architecturaux et cosmographiques — canaux, sources, marqueurs stellaires — exactement les types d’ouvertures par lesquelles souffle/vent/eau/temps circulent.

Deux points d’ancrage rapides :

  • Les bordures textiles comme yeux. Les tisserandes des hautes terres nomment une bordure courante ñawi awapa (« bordure‑œil »), littéralement une ceinture d’yeux gardant le seuil du textile entre monde et champ Smithsonian Folklife (2024).
  • Yeux du ciel. Les yeux du lama de nuage sombre inka, Llamaqñawin — α et β Centauri — se lèvent de manière saisonnière et servaient à l’observation calendaire/de l’eau à Pachacámac NMAI, The Inka Empire: Ways of Living ; Piñasco 2024.

Affirmation : le lien I/Eye n’est pas qu’un jeu de mots anglais ; la perception est une entrée pour le souffle. Le paradigme de l’âme‑comme‑souffle est classique (lat. anima ; gr. pneûma) Lewis–Short ; LSJ. Le ñawi andin fournit la topologie aperturale que ŋAN traverse.

Ce que « ñawi » désigne réellement (attestations & registres)#

DomaineSens spécifiqueExemple / lieuSource
Lexèmeœil ; ouverture ; visageLes entrées de dictionnaire glosent ñawi comme ojo, étendu à ouverture/trouOLRC Kechwa Dict. ; Wiktionary
Tissageñawi awapa (bordure‑œil)« Yeux » répétés sécurisant le bord du textileSmithsonian Folklife (2024)
ArchéoastronomieLlamaqñawinα & β Centauri comme yeux du lama ; saisonnalité & cycle de l’eauNMAI ; Piñasco 2024
OnomastiqueRumi-ñawi (« œil/visage de pierre »)Nom/titre historique ; aussi « rumi ñawi » utilisé dans le discours visuelCambridge, Art & Vision in the Inca Empire ; Rumiñawi (overview)
Pronoms (adjacent)ñuqa « je »Nasale palatale initiale pour la 1re pers. sg. en quechua du SudOAPEN : Yauyos Quechua ; UT Austin Tinkuy

Le tableau montre la colonne vertébrale sémantique de ñawi : voir, faire face, ouvrir, garder. Les textiles la littéralisent ; le ciel la ritualise.


Œil, souffle, soi : tirer le fil#

  1. Souffle/âme est un vieux thème, mais l’ouverture est sous‑spécifiée. L’indo‑européen et le grec intègrent souffle→esprit (anima, animus ; pneûma) Lewis–Short ; LSJ. Le germanique gāst (→ anglais ghost) signifiait à l’origine souffle/esprit Etymonline : ghost. Donc ŋAN est plausible comme fossile profond pour souffle~âme.

  2. Ñawi fournit la topologie. Le monde andin est cousu d’yeux : yeux‑bordures, yeux‑ciel, yeux‑pierre. Ce ne sont pas de jolies métaphores ; ce sont des entrées fonctionnelles : les bordures rassemblent/gardent ; les étoiles rythment l’eau ; les pierres et les sources « regardent en retour ». (Sur la vitalité andine et les forces « vivantes », voir les travaux autour de kawsay — « vivre », « vie » — et allin kawsay « bien vivre » Allen 2002 ; Article de recherche sur allin kawsay.)

  3. Je/œil : proximité sans sur‑affirmation. Le quechua du Sud ñuqa « je » commence par la nasale palatale /ɲ/ OAPEN. Le sino‑tibétain a fameusement ŋa « je » ; le chinois ancien reconstruit *ŋ‑ dans wǒ/吾/我 (détails dans le billet précédent). Tentant de forcer tout cela dans un seul arbre ; à éviter. Mais le voisinage phonotactique de ŋ/ɲ + a dans les termes de la personne est empiriquement là ; le ñawi andin maintient l’œil‑ouverture au centre tandis que ŋAN fournit le souffle.

  4. Les yeux émettent aussi. Le complexe du mauvais œil — le regard comme émanation — s’étend de l’Ancien Monde jusqu’aux Amériques coloniales (par diffusion) Dundes (éd.) 1992. Qu’il se superpose à la physique de l’ouverture (entrée/sortie) n’est pas accidentel : l’œil reçoit (perception) et projette (regard/pouvoir). Ñawi comme port bidirectionnel s’emboîte avec le souffle bidirectionnel de ŋAN (in‑spire, ex‑pire).

  5. Des bords qui voient. Dans le design andin, la bordure est un dispositif. Une bande de ñawi le long de l’ourlet est un périmètre d’attention. Le bord vous regarde — littéralement — en retour Smithsonian Folklife. À classer sous « pragmatique de l’UX sacrée ».

Un petit réglage sur les tocapu et les « yeux »#

Les t’oqapu sont les modules carrés de motifs inka ; certains incluent des cellules en losange/diamant ressemblant à des yeux, mais « tocapu = écriture » reste débattu Smarthistory overview. Utiliser ñawi awapa quand on veut dire yeux nommés dans le tissage ; utiliser t’oqapu pour le système de motifs carrés. (Si vous voyez rumi ñawi dans le discours sur la vision, c’est un usage légitime dans le traitement savant) Cambridge, Herring 2015.


Comment cela révise ŋAN (sans le casser)#

  • Du métaphore au mécanisme. ŋAN nous donnait la colonne vertébrale sémantique (souffle→âme→soi). Ñawi fournit le substrat mécanique : des ports dans les corps, les tissus, les roches, les rivières et la Voie lactée. Les ouvertures sont les lieux où les flux deviennent des formes.
  • L’eau est un second souffle. L’alignement de Llamaqñawin à Pachacámac relie œil/ciel à l’hydrologie, c’est‑à‑dire le souffle du paysage — prise/rejet saisonniers Piñasco 2024 ; NMAI.
  • Les bords portent l’esprit. Si les bordures sont bordées d’yeux, l’attention est spatialisée. C’est le geste cognitif : le soi comme périmètre. Respirer par les ports ; devenir le bord qui observe.

FAQ#

Q1. « ñawi = œil » est‑ce seulement un fait de dictionnaire ou un concept andin vivant ?
R. Vivant. Il nomme des pratiques concrètes (par ex. les bordures ñawi awapa) et des marqueurs célestes (Llamaqñawin), et apparaît dans l’onomastique/le discours visuel (par ex. rumi ñawi), pas seulement comme glose Smithsonian Folklife ; NMAI ; Herring 2015, (https://americanindian.si.edu/nk360/inka-water/ways-of-living/living), (https://www.cambridge.org/core/books/art-and-vision-in-the-inca-empire/under-atawallpas-eyes/DA92E3BE02489C92A949C0952EBB66FF).

Q2. Prétendez‑vous que le quechua ñuqa « je » est cognat du sino‑tibétain ŋa « je » ?
R. Non. Je dis que le voisinage phonosémantique (nasale + voyelle basse pour la personne) existe ; le lien généalogique n’est pas démontré. À traiter comme une rime typologique, non comme une descendance OAPEN ; UT Tinkuy, (https://quechuatinkuy.coerll.utexas.edu/en/yachana-14/).

Q3. Le « mauvais œil » est‑il andin ?
R. Le complexe classique du mauvais œil est de l’Ancien Monde ; les Amériques le reçoivent via le contact colonial. Néanmoins, la physique de l’ouverture (des yeux qui émettent) se superpose nettement à la bidirectionnalité de ñawi Dundes (éd.) 1992.

Q4. Quelle est l’affirmation la plus sûre ici ?
R. Minimalement : ŋAN modélise souffle⇄âme ; ñawi modélise ouverture/port. Le dossier andin (tissage, cosmologie stellaire) instancie de manière robuste les yeux comme ouvertures fonctionnelles — sans plaidoyer spécial.


Notes#


Sources#

  • Dictionnaires / Grammaires
  1. Open Language Resource Center (Univ. of Kansas). Kechwa Dictionary (1st ed.), 2024.
  2. OAPEN Library. A Grammar of Yauyos Quechua.
  3. Wiktionary. « ñawi. ».
  4. UT Austin, Quechua Tinkuy. « ÑAN (path) – Pronouns & possessives. ».
  • Tissage / Culture matérielle
  1. Smithsonian Center for Folklife & Cultural Heritage. « Ñawi Awapa: The Quechua Weaving Technique that Keeps Eyes on the Details » (2024).
  2. Smarthistory. « All-T’oqapu Tunic. »
  • Archéoastronomie
  1. National Museum of the American Indian (Smithsonian). « Ways of Living | The Inka Empire » (panneau Llamaqñawin).
  2. Piñasco, M. (2024). « Llamaqñawin (The eyes of the Celestial Llama, α and β Centauri), myths and the annual cycle of water in the Pachacámac Inca sanctuary. »
  • Vision / Discours
  1. Herring, A. Art and Vision in the Inca Empire: Andeans and Europeans at Cajamarca. Cambridge Univ. Press, 2015. (L’aperçu du chapitre 2 inclut l’usage de rumi ñawi.)
  • Contexte Souffle ⇄ Âme
  1. Lewis & Short. « ănĭma » (latin).
  2. Liddell–Scott–Jones. πνεῦμα (pneûma), portail en ligne vers l’entrée LSJ : TLG/LSJ.
  3. Online Etymology Dictionary. « ghost. »
  • Croyances comparées (mauvais œil)
  1. Dundes, A. (éd.). The Evil Eye: A Casebook. Univ. of Wisconsin Press, 1992.
  • Concepts de vie andins (contexte)
  1. Allen, C. J. The Hold Life Has: Coca and Cultural Identity in an Andean Community. Smithsonian, 2002 (2e éd.).
  2. Article sur l’usage de allin kawsay : « Righting Imbalance: Striving for Well-Being in the Andes. »