TL;DR

  • L’hermétisme a attiré une gamme extraordinaire de figures sur plus de 2 000 ans, du légendaire Hermès Trismégiste à Carl Jung.
  • Des savants islamiques majeurs comme Jābir ibn Hayyān et al-Būnī ont préservé et développé l’alchimie hermétique et la magie astrale.
  • Des géants de la Renaissance comme Ficin, Pic et Bruno ont ressuscité l’hermétisme, y voyant une sagesse divine antique.
  • Même des révolutionnaires scientifiques comme Newton et Paracelse furent profondément influencés par les principes hermétiques.
  • Des occultistes modernes, d’Éliphas Lévi à Aleister Crowley, ont reconstruit l’ésotérisme occidental sur des fondations hermétiques.

La fondation légendaire#

  • Hermès Trismégiste (légendaire) : Sage gréco-égyptien syncrétique (combinant les dieux Hermès et Thot) auquel sont attribués les écrits hermétiques (Hermetica). Vénéré comme le père de la sagesse hermétique, on disait qu’il avait maîtrisé l’alchimie, l’astrologie et la magie. Les érudits de la Renaissance (comme Ficin et Pic) croyaient qu’Hermès Trismégiste était un ancien prophète de la sagesse divine, et le terme même « hermétisme » provient du nom de cette figure mythique. Sa fameuse Table d’Émeraude expose la maxime hermétique centrale « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », reflétant une vision du monde fondée sur les correspondances cosmiques entre le divin et les royaumes terrestres.

  • Zosime de Panopolis (fl. IIIᵉ siècle apr. J.-C.) : Alchimiste gréco-égyptien et mystique gnostique, souvent considéré comme le plus ancien auteur connu sur l’alchimie. Il a beaucoup écrit sur les procédures chimiques et les allégories visionnaires – appelant l’alchimie « Cheirokmeta » (choses faites à la main) – et a imprégné son œuvre de thèmes spirituels hermétiques. Zosime décrivait l’alchimie comme un processus de purification à la fois matérielle et intérieure ; il puisait dans l’imagerie hermétique, telle que le krater (cratère, coupe de mélange de l’intellect divin), dans ses visions, interprétant la transmutation des métaux comme analogue à l’ascension et à la rédemption de l’âme. Ses écrits ont fortement influencé les alchimistes arabes ultérieurs et ont maintenu vivante l’idée hermétique selon laquelle l’alchimie était une science sacrée de la transformation.

  • Jābir ibn Hayyān (Geber) (VIIIᵉ siècle, attribué) : Légendaire alchimiste persano-arabe et polymathe à qui l’on crédite des centaines de traités qui ont profondément façonné la théorie alchimique durant l’âge d’or islamique. Bien que son existence historique soit débattue, le corpus qui porte son nom a introduit l’expérimentation systématique et les chiffres en alchimie, lui valant le titre de « père de la chimie ». Les œuvres de Jābir montrent l’influence d’idées hermétiques et hellénistiques – notamment, une traduction arabe de la Table d’Émeraude d’Hermès est attribuée à Jābir. Il a adopté la vision hermétique de l’unité entre les forces cosmiques et terrestres (par ex. l’équilibre des quatre éléments et qualités) et, grâce aux traductions latines, « Geber » est devenu une autorité vénérée par les alchimistes européens médiévaux.

  • Abū Ma‘shar al-Balkhī (Albumasar) (787–886) : Astrologue et philosophe persan dont les écrits ont transmis la cosmologie hermétique à l’Occident médiéval. Son œuvre magistrale Introductorium in Astronomiam (Grande Introduction à l’astrologie) s’appuie sur le savoir stellaire hermétique grec et harranien et relie les mouvements célestes aux événements terrestres. Abū Ma‘shar a contribué à ancrer la notion hermétique selon laquelle les étoiles et les planètes sont animées d’une âme et influencent le destin humain – idée qui deviendra centrale dans la magie astrologique de la Renaissance. Ses textes astrologiques furent traduits en latin et influencèrent des savants comme Albert le Grand et Pic de la Mirandole, faisant le pont entre l’astrologie hermétique antique et la pensée européenne.

  • Muḥammad ibn Umayl (Senior Zadith) (v. 900–960) : Alchimiste musulman d’Égypte qui a rédigé d’influents traités alchimiques allégoriques. L’œuvre la plus connue d’Ibn Umayl, « L’Eau argentée et la Terre étoilée », présente des visions symboliques et des dialogues sur l’opus alchimique. Il prônait une approche ésotérique et contemplative de l’alchimie, comparant le four alchimique aux temples égyptiens et l’Œuvre au raffinement spirituel. Citant des sages antérieurs comme Hermès et Zosime, Ibn Umayl a perpétué l’idée hermétique de l’alchimie comme art spirituel : libérer l’esprit divin de la matière. Ses écrits et son surnom latin « Senior » furent ensuite connus des alchimistes européens, transmettant dans le folklore alchimique occidental le symbolisme hermético-alchimique (par ex. le « Lion Vert », le Mercure philosophique, etc.).

  • Maslama al-Qurṭubī (Pseudo-Majrīṭī) (m. 964) : Astrologue-alchimiste andalou réputé être l’auteur du Ghāyat al-Ḥakīm, plus connu sous le nom de Picatrix. Ce manuel de 400 pages de magie astrale compile les idées hermétiques, sabéennes et néoplatoniciennes qui circulaient dans le Bagdad du IXᵉ siècle. Il donne des instructions sur les talismans, les rituels planétaires et l’invocation des esprits, incarnant la croyance hermétique consistant à attirer les forces célestes pour produire des effets terrestres. Le Picatrix (attribué à « Maslama de Cordoue ») devint extrêmement influent dans la magie de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance après sa traduction latine. Il est profondément imprégné de philosophie hermétique – citant explicitement Hermès Trismégiste – et fut considéré comme aussi indispensable aux ésotéristes de la Renaissance que le Corpus Hermeticum lui-même.

  • Aḥmad al-Būnī (m. 1225) : Mystique soufi, mathématicien et savant occulte nord-africain originaire de Tunisie (ou d’Algérie), célèbre pour avoir écrit Shams al-Ma‘ārif al-Kubrā (« Le Soleil de la Gnose »). Ce grimoire exhaustif sur la théurgie et la magie talismanique demeure l’un des principaux textes du savoir ésotérique islamique. L’œuvre d’al-Būnī a systématisé les correspondances hermétiques entre lettres, nombres et forces cosmiques – enseignant comment attirer les puissances angéliques par les noms sacrés, les carrés magiques et l’astrologie. Mêlant mysticisme coranique et concepts hermético-néoplatoniciens, il incarne le passage de l’hermétisme dans le monde islamique. Ses techniques (par ex. invoquer les esprits planétaires à travers les lettres arabes) ont influencé des ordres occultes ultérieurs et montrent la portée mondiale des idées hermétiques sur la magie talismanique et la « science des lettres ».

  • Marsile Ficin (1433–1499) : Philosophe, prêtre et humaniste italien de la Renaissance qui joua un rôle déterminant dans la résurrection de l’hermétisme en Occident. Sous le patronage de Cosme de Médicis, Ficin traduisit le Corpus Hermeticum en latin (publié en 1471), croyant que ces traités gréco-égyptiens contenaient une sagesse divine primordiale. Il dirigea l’Académie platonicienne de Florence et fusionna la philosophie hermétique avec le néoplatonisme et la pensée chrétienne. Ficin considérait Hermès Trismégiste comme un sage appartenant à la lignée de la théologie antique et adopta des pratiques comme la magie astrologique et la musique talismanique, visant à attirer l’esprit cosmique dans l’âme. En diffusant les textes et concepts hermétiques (par ex. l’harmonie de l’univers, l’anima mundi), Ficin posa les bases de « l’hermétisme de la Renaissance » et influença profondément les savants, médecins et artistes de son temps.

  • Lodovico Lazzarelli (1447–1500) : Poète, courtisan et philosophe hermétique italien du début de la Renaissance. Disciple dévoué de l’hermétisme, Lazzarelli se lia d’amitié avec le mage itinérant Giovanni « Mercurio » da Correggio et le considéra comme une incarnation vivante de la sagesse hermétique. Lazzarelli traduisit lui-même des portions du Corpus Hermeticum et écrivit le Crater Hermetis, un dialogue exaltant la renaissance spirituelle par les enseignements hermétiques. Dans ses écrits, il synthétisa le mysticisme chrétien avec la théologie hermético-égyptienne, ne voyant aucun conflit entre Hermès Trismégiste et le Christ. Bien que moins célèbre que Ficin, Lazzarelli est remarquable pour avoir pleinement embrassé une identité hermétique – il considérait la magie et l’allégorie hermétiques comme des voies vers la vérité divine et contribua à transmettre ce courant aux cours italiennes de son époque.

  • Giovanni (Mercurio) da Correggio (v. 1451 – fl. 1480) : Prédicateur itinérant et alchimiste italien qui se présenta de manière spectaculaire comme un mage hermétique. Giovanni gagna le surnom de « Mercurio » après avoir organisé en 1484 une procession publique où, vêtu en Mercure ailé, il proclama des révélations au nom d’Hermès Trismégiste. Il affirma avoir été mystiquement « régénéré » par Hermès et prêcha un message de renouveau spirituel à travers une imagerie hermétique et apocalyptique. Bien que certains contemporains l’aient considéré comme un charlatan, da Correggio inspira des érudits comme Lazzarelli par son exemple vivant d’adepte hermétique. Sa vie brouille la frontière entre légende et histoire, mais elle illustre la fascination de la Renaissance pour un hermétisme expérientiel – alchimie, thaumaturgie et prophétie – tous enracinés dans l’autorité d’Hermès Trismégiste.

  • Giovanni Pico della Mirandola (1463–1494) : Philosophe italien de la Renaissance célèbre pour son érudition et son syncrétisme. Pic défendit la notion de prisca theologia, une sagesse antique (prisca, pure) qui traverse diverses traditions. Dans ses 900 Thèses (1486) et son Discours sur la dignité de l’homme, Pic puisa à la fois dans la Kabbale, la théologie chrétienne et les écrits hermétiques. Il cita Hermès Trismégiste (aux côtés de Platon et Moïse) comme inspiré divinement, croyant que les textes hermétiques corroboraient les vérités bibliques sous forme symbolique. Bien que l’authenticité des Hermetica ait été plus tard remise en question, l’adhésion de Pic à l’hermétisme contribua à l’élever dans les milieux savants. En affirmant que le savoir hermétique (et cabalistique) pouvait approfondir la compréhension chrétienne, il devint une figure clé qui légitima les études occultes et hermétiques à la Renaissance, influençant des figures comme Johannes Reuchlin et Gottfried Leibniz.

  • Heinrich Cornelius Agrippa (1486–1535) : Polymathe, soldat et écrivain occultiste allemand renommé pour ses Trois Livres de la philosophie occulte (1533). L’ouvrage encyclopédique d’Agrippa systématisa la magie de la Renaissance et s’appuya largement sur des sources hermétiques, néoplatoniciennes et kabbalistiques. Il présenta le cosmos comme un monde triple (élémentaire, céleste, intellectuel) rempli de sympathies – concept très hermétique – et enseigna que le mage entraîné pouvait exploiter ces correspondances par les talismans, les invocations et l’alchimie. Bien que chrétien dévot, Agrippa louait Hermès Trismégiste et la sagesse « égyptienne » comme des prismes de la vérité de Dieu. Ses écrits (bien que plus tard placés à l’Index des livres interdits) diffusèrent la philosophie hermético-occultiste à travers l’Europe, influençant des amateurs d’occultisme et même des scientifiques (ses ouvrages furent possédés par John Dee et Giordano Bruno, entre autres). Agrippa incarne l’homme de la Renaissance qui est à la fois érudit, magicien et théoricien des arts hermétiques.

  • Paracelse (Philippus Aureolus Theophrastus Bombastus von Hohenheim) (1493–1541) : Médecin, alchimiste et philosophe de la nature suisse qui inaugura une médecine fondée sur la chimie, influencée par les principes hermétiques. Paracelse rejeta les autorités classiques au profit d’un savoir tiré de la nature et de la révélation. Il cita souvent la Table d’Émeraude et les axiomes hermétiques dans ses écrits, affirmant que « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » s’applique à l’harmonie entre le macrocosme (l’univers) et le microcosme (l’homme). Selon Paracelse, les maladies avaient des causes et des remèdes spirituels, et il introduisit l’idée d’alchimie intérieure – utiliser des remèdes minéraux et des influences astrales pour guérir le corps et l’esprit. Il appela son approche « Spagyrie » (alchimie appliquée à la médecine) et attribua à Hermès des intuitions sur l’unité des lois chimiques et divines. Le mélange iconoclaste de l’empirisme, du christianisme et de la pensée hermético-occultiste chez Paracelse révolutionna la médecine et porta les idées alchimiques hermétiques bien dans l’ère scientifique.

  • John Dee (1527–1608) : Mathématicien, astronome, navigateur et philosophe occultiste anglais, souvent considéré comme le « mage de la Renaissance » par excellence. Dee fut le conseiller scientifique de la reine Élisabeth Iʳᵉ, mais il se consacra aussi aux études hermétiques et ésotériques. Il rassembla l’une des plus grandes bibliothèques anglaises de livres occultes (y compris les Hermetica) et chercha à communiquer avec des intelligences angéliques pour obtenir des vérités divines. Son traité Monas Hieroglyphica (1564) est un emblème hermétique cryptique unissant astrologie, alchimie, mathématiques et Kabbale – visant à exprimer l’unité de la création à travers un seul symbole. Conformément à la tradition hermétique, Dee croyait à l’interconnexion du cosmos : il écrivit sur l’usage des talismans, des cristaux de voyance et du langage angélique « énochien » pour restaurer la connaissance antique d’Adam. Souvenu à la fois pour la science (il contribua au développement de la navigation) et la sorcellerie, Dee personnifie la convergence, à son époque, du mysticisme hermétique et de la science naissante.

  • Giordano Bruno (1548–1600) : Frère dominicain italien devenu philosophe, célèbre pour ses théories cosmologiques et sa magie hermétique. Bruno adopta l’astronomie copernicienne et alla plus loin – imaginant un univers infini rempli de mondes – idée audacieuse qu’il relia au culte hermétique du soleil et au mysticisme égyptien. Profondément influencé par le corpus hermétique et les idées d’Hermès Trismégiste, Bruno considérait Hermès comme un sage prophète païen qui avait anticipé les vérités chrétiennes. Il promut la prisca theologia (la doctrine d’une théologie antique unique), proposant que la religion hermétique égyptienne (la vénération du soleil comme emblème de Dieu) était une religion idéale et pure. Bruno écrivit aussi abondamment sur l’art de la mémoire, employant des images hermétiques et des techniques de magie astrale pour entraîner l’esprit. Son mélange incendiaire de magie, de panthéisme hermétique (voir Dieu en toute la nature) et de critique du dogme catholique conduisit à son exécution pour hérésie. Aujourd’hui, Bruno est considéré comme un martyr de la liberté de pensée – et comme une figure clé qui porta l’hermétisme de la Renaissance vers de nouveaux territoires philosophiques (et cosmiques) audacieux.

  • Jakob Böhme (1575–1624) : Cordonnier et mystique chrétien allemand dont les écrits visionnaires montrent une fusion d’idées hermético-alchimiques avec la théologie protestante. Böhme vécut une illumination en 1600 qui déclencha ses œuvres prolifiques sur la structure de Dieu et de la nature (par ex. Aurora et Mysterium Magnum). Bien que profondément chrétien, il fut inspiré par des concepts alchimiques empruntés à Paracelse – tels que les trois principes primordiaux (sel, soufre, mercure) – qu’il utilisa pour expliquer l’émanation de la Trinité et la lutte des opposés (lumière et ténèbres) dans la création. Böhme décrivit le cosmos comme une série de processus chimiques ou spirituels, dans lesquels l’âme doit se transmuter à travers la souffrance pour retourner à Dieu (une « pierre philosophale » intérieure). Sa terminologie et sa logique symbolique sont fortement hermétiques : par exemple, il parle de Sophia (la sagesse divine) et des signatures que Dieu a inscrites dans la nature, à l’instar des correspondances hermétiques. Les œuvres de Böhme, bien que condamnées par les luthériens orthodoxes, influencèrent plus tard le romantisme allemand, la théosophie et même la psychologie des profondeurs de Carl Jung – perpétuant la vision hermétique selon laquelle la transformation spirituelle intérieure reflète les processus secrets de la nature.

  • Robert Fludd (1574–1637) : Médecin anglais, apologiste rosicrucien et cosmologiste mystique. Fludd rédigea de nombreux traités illustrés présentant une vision du monde hermético-kabbalistique globale. Il a notamment diagrammé la relation macrocosme–microcosme – montrant l’homme comme un univers en miniature – et défendu l’idée hermétique selon laquelle toute la création émane de l’Un divin et s’interconnecte par des forces sympathiques. En défendant le mouvement (alors nouveau) des Rose-Croix, Fludd plaida pour une lignée ininterrompue de sagesse occulte allant d’Hermès Trismégiste jusqu’aux frères rosicruciens. Il polémiqua avec Kepler par écrit, défendant une vision plus magique et qualitative du cosmos contre l’astronomie géométrique de Kepler. Les œuvres de Fludd regorgent de symbolisme alchimique, d’analogies musicales et de gravures mystiques de l’âme du monde – visant à unifier médecine, musique, alchimie, astrologie et théologie dans une synthèse hermétique. Bien que parfois critiqué par ses pairs des Lumières, Fludd devint une référence pour les occultistes ultérieurs, et ses gravures somptueuses demeurent des représentations emblématiques de la cosmologie hermétique de la Renaissance.

  • « Christian Rosenkreuz » (légendaire, vie supposée 1378–1484) : Fondateur mythique de l’Ordre rosicrucien, société secrète hermético-chrétienne révélée au début du XVIIᵉ siècle. Selon les manifestes rosicruciens (Fama Fraternitatis 1614, etc.), Christian Rosenkreuz était un noble allemand qui voyagea au Moyen-Orient, apprenant la sagesse occulte auprès de sages en Arabie et à Fès. On dit qu’il y « découvrit et apprit diverses formes de sagesse ésotérique » au cours de ces voyages – y compris l’alchimie, la Kabbale et la magie – et qu’à son retour en Europe, il fonda une confrérie pour préserver ce savoir caché en vue de la guérison du monde. Les textes rosicruciens le dépeignent comme un humble mystique chrétien ainsi qu’un adepte hermétique qui vécut jusqu’à 106 ans et fut enseveli avec des trésors symboliques (un caveau hermétique ce qui est en haut est comme ce qui est en bas). Que Rosenkreuz ait été réel ou non (très probablement une allégorie), sa légende a synthétisé des thèmes d’hermétisme, d’alchimie et d’eschatologie chrétienne, inspirant des amateurs d’occultisme (et une littérature comme le Faust de Goethe) pendant des siècles. Le mouvement rosicrucien lui-même est une ramification de l’hermétisme de la Renaissance, affirmant que l’ancienne sagesse d’Hermès survit dans ses enseignements secrets.

  • Isaac Newton (1643–1727) : Philosophe naturel anglais célébré pour avoir fondé la physique classique – mais Newton fut aussi, en privé, un étudiant assidu de l’alchimie et de la théologie hermétique. Il passa plus de temps à explorer les textes alchimiques et la prophétie biblique qu’à composer les Principia. Newton recherchait avec ardeur la prisca sapientia (sagesse antique) sous-jacente aux lois de la nature et croyait qu’Hermès Trismégiste et d’autres anciens avaient entrevu des vérités qui furent ensuite fragmentées. Il mena des expériences alchimiques (à la recherche de la pierre philosophale) et annota des œuvres hermético-alchimiques de ses propres théories de la matière. Les carnets de Newton le montrent travaillant sur des recettes alchimiques chiffrées et des chronologies mystiques de l’histoire du monde. Il écrivit des traités sur le Temple de Salomon et l’Apocalypse, convaincu que le déchiffrement de l’Écriture et des symboles hermétiques révélerait l’architecture divine du cosmos. Dans la synthèse newtonienne, science, alchimie et théologie n’étaient pas en conflit – toutes étaient des méthodes pour saisir le dessein unique de Dieu. Son engagement envers les idées hermétiques montre que même le père de la science moderne fut, à bien des égards, un chercheur hermétique de vérités cachées.

  • Éliphas Lévi (Alphonse-Louis Constant) (1810–1875) : Occultiste et mage français qui joua un rôle pivot dans le renouveau occultiste du XIXᵉ siècle. Lévi réinterpréta les anciennes traditions ésotériques occidentales (magie, Kabbale, hermétisme) pour un nouveau public avec des ouvrages comme Dogme et Rituel de la Haute Magie (1854). Il enseigna un mélange de doctrine hermético-kabbalistique, forgeant des concepts durables tels que la lumière astrale et les correspondances du Tarot. Lévi présenta la sagesse hermétique comme le secret universel derrière toutes les religions – écrivant, par exemple, qu’au-delà des rites des temples antiques, des symboles de l’alchimie et des cérémonies des sociétés secrètes se cache « une doctrine qui est partout la même et partout soigneusement dissimulée ». Il popularisa également l’image de Baphomet et la maxime « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » dans la pratique magique. L’écriture charismatique de Lévi et sa synthèse de la magie et du mysticisme influencèrent profondément des groupes comme l’Ordre hermétique de la Golden Dawn et des figures telles qu’Helena Blavatsky et Aleister Crowley. En substance, Lévi réaffirma la tradition hermétique à l’ère du positivisme, insistant sur la réalité des forces spirituelles cachées. Pour en savoir plus sur la manière dont des symboles comme l’équerre et le compas, centraux dans les traditions hermétiques et maçonniques, ont persisté à travers les cultures, voir notre article sur The Square and Compass Analysis.

  • Helena Petrovna Blavatsky (1831–1891) : Philosophe occultiste russe et cofondatrice de la Société théosophique, qui intégra l’hermétisme au mysticisme oriental. Dans des ouvrages comme Isis Unveiled (1877) et The Secret Doctrine (1888), Blavatsky rassembla des enseignements ésotériques du monde entier dans une vaste synthèse qu’elle appela la « Sagesse immémoriale » (Ageless Wisdom). Elle identifia explicitement cette religion de sagesse antique à la philosophie hermétique, la qualifiant de « seule clef possible de l’Absolu en science et en théologie ». Blavatsky enseigna que toutes les religions dérivent d’une vérité hermétique commune et se référa fréquemment à des concepts hermético-alchimiques (par ex. l’unité de l’esprit et de la matière, la réincarnation d’une âme du monde). Elle contribua aussi à populariser des maximes hermétiques comme « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » et l’idée de Maîtres (adeptes éclairés dans l’Himalaya, analogues aux sages hermétiques guidant l’humanité). À l’époque victorienne, l’influence considérable de Blavatsky avait suscité une nouvelle vague d’intérêt pour les sujets hermétiques et occultes chez les artistes, les intellectuels et les chercheurs spirituels. Les mouvements ésotériques modernes (théosophie, anthroposophie, pensée New Age) doivent tous quelque chose à sa résurrection du pérennialisme hermétique – l’idée d’une vérité ésotérique unique derrière toutes les fois exotériques.

  • William Butler Yeats (1865–1939) : Poète et dramaturge irlandais, lauréat du prix Nobel, qui puisa une inspiration significative dans les traditions hermétiques et occultes. Yeats fut membre de l’Ordre hermétique de la Golden Dawn (qu’il rejoignit en 1890) et resta profondément impliqué dans les pratiques magiques et mystiques tout au long de sa vie. Il étudia l’astrologie, la Kabbale, le tarot et l’alchimie comme moyens d’accéder à l’imagination et « d’évoquer » des vérités cachées. Yeats fonda même son propre ordre ésotérique (l’Ordre mystique celtique) et expérimenta l’écriture automatique et la communication avec les esprits (comme il le raconte dans A Vision, 1925). Les idées hermétiques – telles que l’histoire cyclique, la transmigration des âmes et les correspondances symboliques – imprègnent subtilement la poésie de Yeats. Il croyait, par exemple, en un vaste système cosmique (cycles de gyres) gouvernant l’histoire, analogue aux âges astrologiques hermétiques. Comme il l’avoua lui-même, « la vie mystique est le centre de tout ce que je fais, de tout ce que je pense et de tout ce que j’écris ». Yeats montre que l’hermétisme ne séduisit pas seulement les scientifiques et les mystiques, mais influença aussi profondément l’art et la littérature à l’ère moderne. Son génie créateur fut nourri par « l’imagination hermétique », faisant le pont entre les mondes du folklore, de la magie et du symbolisme poétique.

  • Aleister Crowley (1875–1947) : Occultiste, magicien cérémoniel et écrivain anglais qui se présenta comme « La Grande Bête 666 ». Crowley fut d’abord formé au sein de l’Ordre hermétique de la Golden Dawn, puis développa sa propre philosophie ésotérique, Thelema. Il assimila pleinement la Kabbale hermétique de la Golden Dawn, intégrant ses hiérarchies angéliques, son symbolisme du tarot et sa magie énochienne dans ses pratiques. En 1904, Crowley affirma avoir reçu The Book of the Law par l’intermédiaire d’un esprit nommé Aiwass – ce texte devint la pierre angulaire de Thelema, qui partage des principes hermétiques tels que « Chaque homme et chaque femme est une étoile » (la divinité de l’individu) et la poursuite de la Vraie Volonté personnelle (rappelant la théurgie hermétique visant l’union avec le divin). Les nombreux écrits de Crowley (de 777 à Magick in Theory and Practice) mêlent astrologie, alchimie, yoga oriental et dieux égyptiens – reflétant un éclectisme franchement hermétique. Il dirigea des ordres occultes (A∴A∴ et O.T.O.) qui prolongèrent les enseignements de la Golden Dawn et des Rose-Croix. Bien que scandaleux de son vivant, le renouveau de la magie hermétique pratique opéré par Crowley et son rôle dans la formation de la sous-culture occulte moderne lui ont valu une influence durable ; il a été qualifié de « dernier des grands mages hermétiques » pour ses efforts afin de vivre et d’enseigner les arts hermétiques au XXᵉ siècle.

  • Carl Gustav Jung (1875–1961) : un psychiatre suisse et fondateur de la psychologie analytique, dont l’œuvre témoigne d’un engagement profond avec le symbolisme hermético-alchimique. Les théories psychologiques de Jung sur les archétypes, l’inconscient collectif et l’individuation ont été profondément façonnées par son étude des textes gnostiques et hermétiques. Il a lu le Corpus Hermeticum et a analysé de manière approfondie des manuscrits alchimiques, y voyant un code symbolique des processus de transformation psychologique. Dans Psychology and Alchemy (1944), Jung soutient que les symboles alchimiques (le four, le roi et la reine, la pierre philosophale, etc.) sont des archétypes du processus d’individuation de la psyché. Il a rendu célèbre l’interprétation de la quête de l’alchimiste visant à transmuter le plomb en or comme analogue au soi intégrant l’ombre et atteignant la totalité. Jung a même établi des parallèles entre son concept du Soi et la notion hermétique de Mercurius comme esprit unifié sous-tendant les opposés. Dans son œuvre tardive Mysterium Coniunctionis, il s’est penché sur la coniunctio (union sacrée) des principes masculin et féminin en alchimie, en la reliant à l’intégration psychologique. En introduisant les idées alchimiques-hermétiques dans le domaine de la psychologie moderne, Jung leur a donné une nouvelle vie et une nouvelle respectabilité – interprétant les allégories hermétiques comme des vérités intemporelles sur l’esprit humain et sa croissance spirituelle. Il illustre la manière dont l’hermétisme a influencé non seulement les mystiques et les artistes, mais aussi l’évolution de la psychologie des profondeurs à l’époque moderne.

L’attrait durable#

De l’Alexandrie antique au XXᵉ siècle, l’attrait de l’hermétisme a traversé les époques et les disciplines, attirant une galerie extraordinaire de penseurs – sages mythiques, philosophes, théologiens, savants de la nature, médecins, poètes et magiciens. Qu’ils aient étudié explicitement les textes hermétiques ou qu’ils aient fait écho à leurs idées, ces figures étaient unies par une fascination pour les fondements ésotériques de la réalité : la conviction qu’il existe un savoir divin caché (prisca sapientia) qui réconcilie la science, la religion et l’art. Pour une exploration plus approfondie de la manière dont de telles traditions philosophiques antiques persistent et évoluent au fil du temps, voir notre article sur The Longevity of Myths.

L’influence de l’hermétisme se manifeste dans les philosophies mystiques de l’Antiquité, l’épanouissement de la magie de la Renaissance, les alchimistes crépusculaires de la révolution scientifique, et même la psychologie de l’inconscient. Chacune des personnes mentionnées ci-dessus, dans son propre contexte, a porté le flambeau de la pensée hermétique, veillant à ce que la « sagesse antique d’Hermès » – l’unité du cosmos, la divinité de la nature et le potentiel de transformation spirituelle de l’être humain – demeure un courant sous-jacent moteur de l’histoire intellectuelle et spirituelle de l’Occident.


FAQ#

Q 1. Qui a été la figure hermétique la plus influente de l’histoire ?
R. Marsile Ficin se distingue pour avoir traduit le Corpus Hermeticum en latin (1471), rendant les textes hermétiques accessibles à l’Europe de la Renaissance et suscitant des siècles d’intérêt renouvelé pour la sagesse égyptienne antique.

Q 2. Y a-t-il eu des scientifiques célèbres qui croyaient en l’hermétisme ?
R. Oui, Isaac Newton a passé plus de temps sur l’alchimie et la théologie hermétique que sur la physique, croyant que des sages antiques comme Hermès Trismégiste détenaient des fragments de vérité divine sur les lois de la nature.

Q 3. Comment les savants musulmans ont-ils contribué à la tradition hermétique ?
R. Des figures comme Jābir ibn Hayyān ont préservé et développé les textes hermétiques grecs, tandis qu’al-Būnī a systématisé la magie astrale et qu’Al-Qurṭubī a compilé le manuel influent de magie céleste Picatrix.

Q 4. Quel rôle l’hermétisme a-t-il joué à la Renaissance ?
R. Des penseurs de la Renaissance comme Pic de la Mirandole et Giordano Bruno considéraient l’hermétisme comme une prisca theologia – une sagesse divine antique susceptible d’enrichir la compréhension chrétienne et de dévoiler les secrets de la nature.

Q 5. Existe-t-il un lien entre l’hermétisme et la psychologie moderne ?
R. Carl Jung a étudié de manière approfondie les symboles alchimiques en tant qu’archétypes de la transformation psychologique, interprétant la quête de la pierre philosophale comme le voyage de la psyché vers la totalité et l’individuation.


Sources#

  1. Yates, Frances A. Giordano Bruno and the Hermetic Tradition. University of Chicago Press, 1964.
  2. Ebeling, Florian. The Secret History of Hermes Trismegistus: Hermeticism from Ancient to Modern Times. Translated by David Lorton. Cornell University Press, 2007.
  3. Copenhaver, Brian P. Hermetica: The Greek Corpus Hermeticum and the Latin Asclepius in a New English Translation, with Notes and Introduction. Cambridge University Press, 1992.
  4. Fowden, Garth. The Egyptian Hermes: A Historical Approach to the Late Pagan Mind. Princeton University Press, 1993.
  5. Jung, Carl Gustav. Psychology and Alchemy. Translated by R.F.C. Hull. Princeton University Press, 1968.
  6. Hanegraaff, Wouter J. Esotericism and the Academy: Rejected Knowledge in Western Culture. Cambridge University Press, 2012.
  7. Forshaw, Peter J. “The Early Alchemical Reception of John Dee’s Monas Hieroglyphica.” Ambix 52, no. 3 (2005): 247-269.
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  9. Principe, Lawrence M. The Secrets of Alchemy. University of Chicago Press, 2013.
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