TL;DR


« La conquête par le Dharma a été remportée ici… et aussi chez les Grecs (Yonas). »
— Grand Édit Rupestre 13, Aśoka (IIIᵉ s. av. n. è.), trad. N. A. Nikam & R. McKeon, via Ancient Buddhist Texts


Qu’est-ce qui compte comme une « connexion » ?#

Par « connexion », on entend des canaux historiquement attestés (personnes, textes, inscriptions, institutions), pas seulement une similarité. Les preuves se répartissent en : (1) attestations textuelles de rencontres ; (2) inscriptions bilingues/grecques dans des régions bouddhiques ; (3) récits de dialogue gréco-bouddhique ; (4) prosopographie de bouddhistes grecs ; et (5) correspondances conceptuelles mises en avant par les comparatistes. Chacune est évaluée ci-dessous avec sources et réserves.

1) Contacts dans les sources historiques (IVᵉ–Iᵉʳ s. av. n. è.)#

2) Archéologie, empire et routes#


Tableau 1. Chronologie des contacts gréco–bouddhiques bien attestés#

Date (av./ap. n. è.)Événement / PreuveCe que cela montre
327–325 av. n. è.Alexandre au Nord-Ouest de l’Inde ; mentions de gymnosophistes (Dandamis, Calanus) dans les sources grecques (Arrien, Strabon)Rencontres philosophiques directes ; curiosité grecque pour l’askēsis indienne. (Arrien ; Strabon)
v. 325 av. n. è.Pyrrhon voyage vers l’Est avec Alexandre ; enseigne plus tard epochē/ataraxia (DL 9)Contact bouddhique plausible ayant façonné le pyrrhonisme ; preuve suggestive, non décisive. (DL ; SEP)
v. 260 av. n. è.Grand Édit Rupestre 13 d’Aśoka nommant des rois grecs ; édit grec à KandaharProclamation bouddhique visant un public grec ; mission morale trans-impériale. (Aśoka ; BM)
IIIᵉ–IIᵉ s. av. n. è.Moines Yona dans le Mahāvaṃsa (Dhammarakkhita ; Mahādhammarakkhita)Grecs au sein du Saṅgha ; mouvement religieux bidirectionnel. (trad. Geiger)
IIᵉ–Iᵉʳ s. av./ap. n. è.Milindapañha (Nāgasena–Ménandre) ; Plutarque sur les cendres de MénandreDialogue philosophique gréco-bouddhique formel ; commémoration bouddhique d’un roi grec. (Rhys Davids ; Plutarque)

Doctrines : parallèles, thèses d’influence et critiques

Pyrrhonisme & bouddhisme ancien#

Le cas classique est l’affirmation selon laquelle Pyrrhon aurait importé une thérapie de type bouddhique. Les reconstructions modernes reposent sur le rapport d’Aristoclès (via Eusèbe) concernant les trois marques des choses chez Pyrrhon : adiaphora (indifférenciées), astathmēta (instables), anepikrita (indécidables) — que certains alignent sur anicca/duḥkha/anattā. Beckwith 2015 ; Kuzminski 2008, (https://www.routledge.com/Pyrrhonism-How-the-Ancient-Greeks-Reinvented-Buddhism/Kuzminski/p/book/9780739124019). Les sceptiques soulignent la minceur du pont textuel et la tardiveté des testimonia ; le telos thérapeutique (ataraxia) est partagé par plusieurs écoles grecques. SEP

Terme pyrrhonien (Aristoclès)Analogue bouddhique revendiquéRéserve
adiaphora (sans nature fixe)anattā (non-soi)« Nature » vs « soi » ne se recouvrent pas exactement ; dépendance textuelle non prouvée. [Beckwith ; critiques dans les comptes rendus]
astathmēta (instable)anicca (impermanence)Chevauchement réel possible via une phénoménologie commune.
anepikrita (indécidable)avyākata (indéterminé), noble silenceRessemblance la plus forte, mais qui correspond aussi au scepticisme grec en général. [SEP]

Évaluation. Autant qu’on puisse en juger, une influence est plausible étant donné les voyages de Pyrrhon et le milieu de l’édit grec de Kandahar ; toutefois, une dépendance textuelle directe reste non démontrée et débattue. Présentations équilibrées : McEvilley (synthèse comparatiste) et critiques d’indianistes dans les recensions de Beckwith. (McEvilley 2002)

Stoïcisme/épicurisme & bouddhisme#

Objectifs communs : thérapie des passions, entraînement de l’attention, modération, éthique cosmopolite. Mais les métaphysiques/ontologies divergent (le logos stoïcien et le corporéisme ; anattā/coproduction conditionnée bouddhiques). La lecture la plus prudente : convergence partielle au sein d’une culture trans-eurasiatique de l’askēsis, plutôt qu’un emprunt unilatéral. [McEvilley 2002 ; synthèses générales dans les entrées SEP]


Sources tierces : apports proche-orientaux et indo-iraniens#

Avant Alexandre, la philosophie grecque porte déjà des marques proche-orientales.

Conclusion. Les similarités entre idées grecques et bouddhiques n’impliquent pas nécessairement un emprunt direct : les deux peuvent puiser dans des répertoires plus anciens proche-orientaux/indo-iraniens, puis les affiner dans des projets philosophiques locaux.


Ce que nous pouvons et ne pouvons pas dire#

  1. Nous pouvons dire que Grecs et bouddhistes se sont rencontrés, ont dialogué et ont parfois partagé des communautés (par ex. les moines Yona). Mahāvaṃsa ; Milindapañha, (https://archive.org/details/questionsofkingm00rhyuuoft)
  2. Nous pouvons dire que certains outils conceptuels se recoupent (suspension sceptique ; thérapie du désir ; équanimité). [SEP ; McEvilley]
  3. Nous ne pouvons pas actuellement prouver une dérivation texte-à-texte précise pour aucune doctrine bouddhique centrale à partir de sources grecques, ni l’inverse — sauf que les communications publiques bouddhiques s’adressaient directement aux Grecs (l’édit grec d’Aśoka) et que des souverains/moines grecs ont participé au bouddhisme. (Aśoka ; Kandahar), (https://www.britishmuseum.org/collection/object/W_1896-0908-6)
  4. Nous devons nous attendre à une influence mutuelle à la marge, à des apports de sources tierces et à des inventions parallèles — non à un ancêtre unique pour « la même doctrine ».

FAQ#

Q1. Le bouddhisme a-t-il « causé » le scepticisme grec ?
R. Non démontré. Le voyage de Pyrrhon en Inde, plus des parallèles programmatiques étroits, rendent une influence plausible, mais les preuves sont circonstancielles ; le pyrrhonisme s’inscrit aussi dans de plus longues traditions grecques du scepticisme. [Diog. Laert. ; SEP ; Beckwith ; Kuzminski]

Q2. Y a-t-il eu un roi bouddhiste grec ?
R. Ménandre (Milinda) est le meilleur cas : il dialogue avec Nāgasena et reçoit des funérailles codées bouddhiques selon Plutarque. C’est la preuve d’un engagement, non que « les États grecs sont devenus bouddhistes ». [Milindapañha ; Plutarque]

Q3. Le stoïcisme et le bouddhisme sont-ils « les mêmes » ?
R. Non. Ils partagent des visées et pratiques thérapeutiques, mais divergent sur le plan métaphysique (le logos stoïcien vs le non-soi/vacuité bouddhiques). La convergence et une askēsis interculturelle expliquent vraisemblablement l’essentiel du recoupement. [McEvilley 2002]

Q4. Quel est l’artéfact unique le plus probant reliant Grecs et bouddhisme ?
R. L’Édit grec d’Aśoka de Kandahar — une proclamation morale bouddhique composée en grec pour un public grec. (Catalogue du BM)


Notes#


Sources#