TL;DR

  • Thèse : Les données du Paléolithique–Holocène s’accordent mieux avec une cosmogénèse à direction féminine — de nombreuses femmes nommées agissant comme créatrices, médiatrices de l’émergence, réparatrices du ciel et fondatrices de l’ordre social — qu’avec un unique archétype universel de Grande Déesse Mère. Voir la critique des lectures monolithiques de déesses en archéologie chez Ucko (1962), Meskell (1995), Goodison & Morris (1998), Tringham & Conkey (1998).
  • Iconographie : La plus ancienne figurine humaine assurément identifiée est féminine (Hohle Fels, ≥35 ka) et de nombreuses pièces gravettiennes encodent la parure textile et la technologie de la corde ; certaines correspondent à une auto‑représentation par des femmes — usages pluriels, non une divinité unitaire Conard (2009), Soffer, Adovasio & Hyland (2000), McDermott (1996).
  • Structure mythique : Les corpus transculturels présentent des agents féminins — par ex. la Femme‑Araignée hopi (émergence, instruction), Changing Woman chez les Diné (clans, héros culturels), les Sœurs Djanggawul yolngu (loi, nomination des lieux), Nüwa (répare le ciel) — qui accomplissent la création et l’ordre social Haeberlin (1916), Denetdale (2013), Berndt (1952), Leeming (2010).
  • Signal phylogénétique/aréologique : Les cosmogonies de type émergence présentent une cohérence géographique et dans les arbres de motifs ; elles sont probablement antérieures à l’agriculture et suivent les dispersions du Pléistocène supérieur Berezkin (2010), d’Huy, Thuillard & Berezkin (2018), avec des macro‑cadres postulés plus tôt Witzel (2012).
  • Gain interprétatif : Un modèle pluriel, centré sur les agents explique mieux à la fois la variabilité des « Vénus » paléolithiques et la diversité des rôles mythiques qu’une abstraction de Grande Déesse Mère unique.

Ce que signifie « cosmogénèse à direction féminine » (définition opérationnelle)#

La cosmogénèse à direction féminine décrit des récits de création dans lesquels une ou plusieurs agentes féminines (femmes biographiquement nommées, grands‑mères, sœurs, êtres codés comme féminins) causent, médiatisent ou réparent des transitions clés qui font advenir un monde habitable et un ordre social. Diagnostics minimaux :

  1. Agentivité causale : une figure féminine initie ou déverrouille la création/l’émergence (par ex. en guidant les gens à travers des ouvertures‑monde, en façonnant des proto‑humains, en autorisant des transitions).
  2. Institutionnalisation : elle installe un ordre social — clans, règles, cycles rituels ou centres.
  3. Maintenance cosmique : elle répare ou stabilise un cosmos endommagé (par ex. en rapiéçant le ciel).
  4. Centralité narrative : l’intrigue échouerait ou serait différente sans ses actions.

Ce n’est pas une affirmation d’un matriarcat universel ni d’une déesse unique. Il s’agit d’une grammaire narrative attestée de manière répétée dans des aires où les ensembles émergence + migration sont forts.[^def]

Une typologie de travail des rôles (avec exemples)#

RôleAction centraleExemple(s)Source
Accoucheuse/Médiatrice de l’émergenceOuvre/garde les ouvertures entre les mondes ; supervise l’ascensionFemme‑Araignée hopi, Huruing WuhtiHaeberlin 1916
Fondatrice/Placeuse de centreCharte un lieu‑centre ; initie des migrationsMama Huaco andine dans le cycle de PacariqtamboSarmiento 1572/1907 ; Bauer 1991
Législatrice/NommeuseÉtablit la loi rituelle, les toponymes, la parentéSœurs Djanggawul yolnguBerndt 1952
Réparatrice cosmiqueRapièce un cosmos briséNüwa répare le cielLeeming 2010
Architecte de parentéCrée des clans/ lignages, enfante des héros culturelsChanging Woman dinéDenetdale 2013

Pourquoi ce modèle correspond au registre paléolithique

Iconographie et contexte, plutôt qu’un monolithe#

  • Première figurine : Le pendentif de Hohle Fels (≥35 ka) est sans ambiguïté féminin et porté — portable, manipulé, circulant — ce qui suggère un usage dépassant la statuaire cultuelle Conard (2009).
  • Gravures vulvaires aurignaciennes : À l’Abri Castanet, des motifs vulvaires gravés apparaissent dans des horizons domestiques de l’Aurignacien ancien, ancrant un symbolisme de naissance/portail dans des espaces quotidiens White et al. (2012).
  • Technologies du textile et de la parure : Des incisions sur des figurines gravettiennes indiquent bonnets, bandeaux, jupes de cordelettes — technologies féminines et signaux de statut/âge, plutôt qu’une icône unitaire de Déesse‑Mère Soffer, Adovasio & Hyland (2000).
  • Auto‑représentation : Des proportions/occlusions compatibles avec un point de vue féminin (regard porté vers le bas sur son propre corps) plaident pour des femmes parmi les artisan·e·s McDermott (1996).
  • Phénoménologie des grottes : Des lectures structurelles et neurocognitives interprètent les grottes comme des espaces seuils/utérins, compatibles avec des métaphores d’émergence — plausibilité, non preuve Leroi‑Gourhan (1965–68) résumé ; Lewis‑Williams (2002).

Implication : Le corpus archéologique est pluriel et technique. Il soutient l’existence de nombreux rôles féminins — artisanes, médiatrices, organisatrices — plutôt qu’une seule Grande Déesse intemporelle. Pour des critiques des lectures monolithiques de déesses, voir Ucko (1962), Meskell (1995), Goodison & Morris (1998), Tringham & Conkey (1998).


L’argument comparatiste (mythes) et phylogénétique#

  1. Distributions aréales structurées : La cartographie globale montre des motifs d’émergence concentrés en Afrique–Indo‑Pacifique (y compris l’Australie) et dans une grande partie des Amériques, tandis que le motif de Plongeur terrestre domine en Eurasie du Nord–Amérique du Nord ; les deux sont en partie complémentaires — un alignement avec les dispersions pléistocènes connues Berezkin (2010).

  2. Regroupements phylogénétiques : Des modèles en arbre/réseau appliqués à des motifs codés retrouvent des partitions profondes et des proto‑intrigues reconstructibles ; des agentes féminines ancrent fréquemment les séquences cosmogoniques dans ces reconstructions d’Huy, Thuillard & Berezkin (2018). Les méthodes sont validées sur des corpus indépendants (par ex. Le Petit Chaperon rouge) Tehrani (2013).

  3. Macro‑cadres et profondeur temporelle : Le scénario « laurasien » de Witzel (création → âges du monde → héros → fin) est supposé avoir des racines dans le Paléolithique récent (~40 ka) ; même si cela est débattu, cela situe les agentes féminines dans une architecture narrative de longue durée Witzel (2012).

  4. Bornes temporelles : La présence de récits de type émergence en Australie implique une borne supérieure à ou après la plus ancienne occupation humaine du Sahul (~65 ka), non parce que les mythes seraient aussi anciens de manière linéaire, mais parce que des structures partagées voyagent vraisemblablement avec les populations Clarkson et al. (2017).


Pourquoi un modèle pluriel, centré sur les agentes, surpasse la Grande Déesse Mère

Prédictions vs. registre#

DimensionLe modèle de Grande Déesse Mère monolithique prédit…La cosmogénèse à direction féminine prédit…Ce que l’on observe
Variabilité des figurinesRelative uniformité ; archétype de déesseForte variation locale ; fonctions multiplesLarge diversité morphologique et contextuelle Ucko 1962
Techniques en iconographieDé‑accentuéesIndices de textile/parure saillantsBonnets, bandeaux, jupes de cordelettes Soffer et al. 2000
AuctorialitéRegard masculin sur un idéal de fertilitéAuctorialité mixte, incluant des femmesLe modèle d’auto‑vue convient à de nombreuses pièces McDermott 1996
Rôles mythiquesUn archétype, agentivité diffuseAgentes féminines nommées avec actes concretsFemme‑Araignée ; Changing Woman ; Djanggawul ; Nüwa (sources ci‑dessus)
Structure aréale/phylogénétiqueFaible (si « universelle »)Distributions structurées ; descendance avec modificationComplémentarité Émergence/Plongeur terrestre ; arbres reconstructibles Berezkin 2010 ; d’Huy et al. 2018

Mise en garde historiographique clé#

La synthèse de la Grande Déesse Mère — le Mutterrecht de Bachofen et plus tard l’Ancienne Europe de Gimbutas — impose un unique prisme interprétatif à des objets et récits hétérogènes ; l’archéologie ultérieure recommande le contexte d’abord et des significations plurielles Bachofen 1861/1967, Gimbutas 1989/1991, Meskell 1995, Goodison & Morris 1998.


Brèves études de cas#

  • Sud‑Ouest pueblo (Hopi) : L’émergence par le sipapu (nombril/ouverture) est explicitement liée à la parturition, et des femmes (Femme‑Araignée ; Huruing Wuhti) médiatisent l’ascension et l’instruction sociale ; les migrations localisent ensuite le lieu‑centre Haeberlin (1916) ; Fewkes (1902) ; Voth (1905).
  • Andes centrales (Inca) : L’émergence à Pacariqtambo (grottes « fenêtres ») est suivie de migrations sous la conduite de figures fondatrices incluant Mama Huaco ; l’agentivité féminine est enchâssée dans le mythe de charte de Cuzco Sarmiento (1572/1907) ; Bauer (1991).
  • Terre d’Arnhem (Australie) : Les Sœurs Djanggawul voyagent, nomment les lieux, instituent des cérémonies — une cosmogénèse à direction féminine explicite qui encode aussi migration et loi Berndt (1952).
  • Sinosphère : Nüwa façonne les humains et répare le ciel brisé, cas canonique de maintenance cosmique par une figure féminine Leeming (2010).

FAQ#

Q1. La « cosmogénèse à direction féminine » implique‑t‑elle un matriarcat universel ?
R. Non. Il s’agit d’une thèse narrative (sur qui agit dans les scènes de création/ordonnancement), non d’une inférence directe à la structure politique. Les mêmes corpus peuvent inclure ailleurs de puissants agents masculins.

Q2. Quel âge ces structures pourraient‑elles avoir ?
R. De manière prudente, le Pléistocène récent pour certaines familles (par ex. l’émergence), inféré à partir de la structure aréale et phylogénétique et borné par le peuplement du Sahul (~65 ka) ; la datation précise reste dépendante des modèles Berezkin 2010 ; d’Huy et al. 2018 ; Clarkson et al. 2017.

Q3. Les « Vénus » paléolithiques sont‑elles des déesses ?
R. Parfois peut‑être, mais le par défaut devrait être pluriel : ornements, supports d’enseignement, marqueurs d’identité/statut ou auto‑images — compte tenu des contextes, de l’usure et des indices textiles — plutôt que de supposer une Grande Déesse Mère pan‑eurasienne Soffer et al. 2000 ; Ucko 1962.

Q4. Quel est le meilleur contre‑exemple unique à ce modèle ?
R. Des régions ou périodes où des dieux créateurs masculins dominent sans co‑agentes féminines saillantes ; de tels cas existent, mais ils n’effacent pas le motif largement répandu d’agentes féminines dans les corpus d’émergence/migration.


Notes#


Sources#