TL;DR

  • Au début des années 1900, des médecins ont expérimenté l’injection de venin de serpent (crotaline) pour traiter l’épilepsie, mais des observations rigoureuses ont montré que cela ne guérissait pas les crises [^oai1] 1.
  • Une étude de 1914 a montré que le venin de crotale non seulement ne soulageait pas les patients épileptiques, mais pouvait aggraver leurs convulsions 1. Dans les années 1930, des essais contrôlés ont confirmé l’absence de bénéfice durable des injections de venin dans l’épilepsie [^oai1].
  • L’intérêt s’est déplacé lorsque certains venins ont montré d’autres usages médicaux : dès 1936, le venin de cobra a été signalé comme produisant un soulagement significatif de la douleur chez des patients atteints de cancer, annonçant le potentiel des venins comme analgésiques 2.
  • La recherche moderne a isolé de nombreux peptides de venin qui ciblent des canaux ioniques spécifiques dans les nerfs, permettant un puissant soulagement de la douleur et des effets anticonvulsivants. Par exemple, des peptides de mamba noir (« mambalgines ») bloquent les canaux sensibles aux acides pour produire une analgésie de niveau morphinique sans opioïdes 3 4.
  • Les venins sont désormais considérés comme une riche source de médicaments neurologiques : une toxine de cône (escargot marin) a été développée en médicament antalgique approuvé par la FDA, le ziconotide 5, et des peptides de venin d’araignée sont en développement pour des épilepsies génétiques pharmacorésistantes 6 7.

« …the much vaunted crotalin or snake venom have thus far been unsuccessful as to a cure. »
— John C. Schwartz, Ohio Hospital for Epileptics report (1920) [^oai1]


Expériences du début du XXᵉ siècle avec le venin de serpent pour l’épilepsie#

À une époque où il existait peu de traitements efficaces contre l’épilepsie, certains médecins se sont tournés vers des remèdes exotiques. Vers 1910, le médecin de Philadelphie Thomas J. Mays a commencé à promouvoir l’utilisation du venin de crotale (connu sous le nom de crotaline) comme thérapie expérimentale pour l’épilepsie 8. Mays et quelques contemporains pensaient que l’injection de doses infimes de venin de serpent pourrait d’une manière ou d’une autre réduire la fréquence ou la sévérité des crises. Cette idée audacieuse s’inspirait probablement du principe selon lequel un poison puissant, à faible dose, pourrait avoir des effets curatifs contre‑intuitifs – une forme précoce d’hormèse ou même un écho pseudo‑scientifique de l’homéopathie. L’épilepsie étant largement incontrôlée (les bromures n’offraient qu’un soulagement partiel), la perspective d’une thérapie de choc par toxine animale a suscité l’attention. Les premiers rapports de cas de Mays faisaient état d’améliorations anecdotiques, ce qui a stimulé d’autres essais dans les années 1910.

Cependant, lorsqu’elle fut soumise à l’épreuve de l’observation clinique, la thérapie par venin de serpent s’est révélée largement décevante. En 1914, C. L. Jenkins et A. S. Pendleton de l’Ohio State Hospital for Epileptics ont publié dans le JAMA un rapport sur « Crotalin in epilepsy ». Leur verdict était décourageant : les patients recevant un extrait de venin de crotale ne s’amélioraient pas ; en fait, « the convulsions of epileptics are increased by its use and it has no beneficial effect » sur leur état 1. D’autres médecins en Europe ont obtenu des résultats nuls similaires – par exemple, S. Fackenheim en 1912 et A. Prévost en 1913 ont essayé des venins de serpent sans observer de guérisons 9. En 1920, un rapport officiel de la colonie épileptique de l’Ohio notait avec amertume que « innumerable treatments… and the much vaunted crotalin or snake venom » avaient « thus far been unsuccessful as to a cure » [^oai1]. En d’autres termes, malgré le battage initial, le venin de serpent avait échoué à stopper les crises épileptiques.

Le coup de grâce est venu avec des essais plus systématiques dans les années 1930. Des médecins ont administré du venin dilué de vipère à fossettes (provenant de mocassins d’eau) à plusieurs patients épileptiques institutionnalisés pendant des semaines, en suivant soigneusement les résultats. Ces études contrôlées n’ont trouvé aucune réduction significative des crises par rapport au niveau de base [^oai1]. Certains patients ont souffert de réactions allergiques ou de lésions tissulaires locales dues aux injections, ajoutant des risques sans bénéfice. Avec l’apparition de barbituriques efficaces (phénobarbital) et de nouveaux anticonvulsivants dans les années 1910–1930, la communauté médicale a abandonné le venin de serpent comme remède contre l’épilepsie. Ce qui avait commencé comme une idée audacieuse de « combattre le feu par le feu » – utiliser une neurotoxine pour calmer les tempêtes neuronales – s’est avéré être une impasse pour l’épilepsie.

Tableau 1 – Essais précoces notables de venin de serpent dans l’épilepsie

AnnéeChercheur(s)Source du venin & méthodeRésultat
1910Thomas J. Mays (Philadelphie)Venin de crotale (« crotaline »), injections répétées chez des épileptiques 8Rapports anecdotiques d’amélioration, mais non vérifiés de manière rigoureuse (a suscité l’optimisme initial).
1914C. L. Jenkins & A. S. Pendleton (Ohio)Extrait de venin de crotale (Crotalus), petites doses sous‑cutanéesAucun bénéfice thérapeutique ; les crises augmentent dans certains cas 1. Déclaré inefficace pour l’épilepsie.
1936–37Étude de colonie épileptique (États‑Unis)Venin de mocassin d’eau (Agkistrodon), solution 1:3000 sur 9 semainesAucune réduction de la fréquence des crises ni amélioration durable ; le venin de serpent est jugé inutile comme « remède » [^oai1].

Malgré l’échec dans l’épilepsie, ces expériences du début du XXᵉ siècle n’ont pas été entièrement vaines. Elles ont introduit l’idée que les venins animaux pouvaient interagir avec le système nerveux – pour le pire ou potentiellement pour le meilleur – et ont incité les pharmacologues à étudier de plus près les composants des venins. Notamment, bien que les injections de venin de serpent n’aient pas guéri les crises, certains médecins ont observé d’autres effets intrigants. L’équipe de D. I. Macht a découvert que le venin de cobra avait une remarquable action analgésique (supprimant la douleur) lorsqu’il était administré à des patients souffrant de douleurs cancéreuses terminales 2. En 1936, le venin de cobra était « emphatically » salué comme un puissant analgésique qui « promises to be of use in the symptomatic treatment of cancer » 2. Le contraste était frappant : une substance tristement célèbre pour provoquer l’agonie pouvait, à doses contrôlées, soulager la souffrance. Ainsi, la saga du venin de serpent a pivoté de l’épilepsie vers la prise en charge de la douleur, laissant entrevoir que les venins recelaient des molécules pharmacologiquement actives dignes d’être exploitées.

Peptides de venin et canaux ioniques : émergence de thérapeutiques modernes#

En avançant jusqu’au XXIᵉ siècle, l’héritage de ces premiers essais se perpétue d’une manière inattendue. Les scientifiques reconnaissent désormais les venins animaux comme de riches bibliothèques de modulateurs de canaux ioniques – des molécules évoluées pour perturber précisément les signaux nerveux chez les proies ou les prédateurs. Ces toxines, affinées par l’évolution, peuvent se lier sélectivement à des récepteurs et canaux neuronaux, ce qui en fait des pistes précieuses pour de nouveaux médicaments. Une revue exhaustive récente note que les venins de serpents, d’araignées, de scorpions, d’abeilles, de guêpes et de cônes marins contiennent tous des composés aux effets anticonvulsivants, souvent en ciblant des canaux ioniques spécifiques impliqués dans les crises 9 10. Ce qui n’était autrefois qu’une idée marginale – le venin comme médicament – est aujourd’hui tout un champ de la biomédecine (la « venomique ») qui transforme des peptides mortels en remèdes.

Un domaine de percée est la prise en charge de la douleur. Les peptides de venin ont donné des analgésiques qui égalent ou dépassent la morphine en puissance sans les mêmes effets secondaires. Un exemple spectaculaire est la découverte des mambalgines – une nouvelle classe de toxines peptidiques à trois doigts provenant du mamba noir. Des chercheurs ont montré en 2012 que les peptides mambalgines peuvent abolir la douleur en inhibant les canaux ioniques sensibles aux acides (ASIC) dans les neurones 11 4. Dans des études chez la souris, la mambalgine a procuré une analgésie puissante comparable à celle de fortes doses de morphine, sans provoquer de dépression respiratoire et avec une tolérance minimale 3 4. Ce mécanisme antalgique sans opioïdes, directement inspiré du venin de serpent, a ouvert la voie à de nouveaux médicaments analgésiques. Bien que les mambalgines en soient encore au stade préclinique, le concept est démontré : les toxines de la nature peuvent être apprivoisées pour soulager la douleur. En fait, un médicament dérivé de venin plus ancien sauve déjà des vies : le ziconotide, version synthétique d’une toxine de cône, a été approuvé en 2004 comme traitement de dernier recours contre la douleur. Le ziconotide bloque les canaux calciques neuronaux pour interrompre les signaux douloureux, une stratégie née du pouvoir paralysant du venin de cône 5. Ces succès dans le traitement de la douleur confirment la promesse médicale des composants de venin.

Les molécules de venin sont également étudiées comme agents antiépileptiques, en particulier pour les formes d’épilepsie que les médicaments actuels ne parviennent pas à contrôler. De nombreux venins ciblent des canaux ioniques (sodium, calcium, potassium, récepteurs GABA, etc.) qui gouvernent l’excitabilité neuronale – les circuits mêmes qui se dérèglent lors des crises. Par exemple, l’α‑cobratoxine, une neurotoxine du venin de cobra, s’est révélée inhiber les canaux calciques de type T dans les neurones, canaux impliqués dans l’épilepsie et la douleur neuropathique 12 13. Cette toxine (mieux connue pour provoquer la paralysie en bloquant les récepteurs de l’acétylcholine) déclenche de manière surprenante une cascade via les récepteurs muscariniques qui atténue les courants calciques à bas voltage, calmant ainsi les neurones hyperactifs 12 13. Un tel mécanisme pourrait inspirer le développement de nouveaux anticonvulsivants. De même, les chercheurs sur les venins ont caractérisé des peptides d’araignée qui modulent très précisément les canaux sodiques voltage‑dépendants. Certains de ces peptides de venin d’araignée peuvent prévenir les crises épileptiques dans des modèles animaux en bloquant les canaux sodiques hyperactifs qui alimentent les décharges incontrôlées 9. Ces découvertes ne sont pas seulement théoriques – elles se rapprochent de la clinique.

Une initiative de pointe vient d’une équipe australienne, où des peptides dérivés de venin sont adaptés à des épilepsies génétiques. En utilisant des peptides de venin qui corrigent les dysfonctionnements spécifiques des canaux ioniques dans certains syndromes épileptiques rares, les chercheurs visent à créer des médicaments anti‑crises de précision. Le laboratoire du Professeur Glenn King a développé des peptides de venin d’araignée qui ont montré une efficacité dans des modèles précliniques du syndrome de Dravet et d’autres épilepsies réfractaires 6 7. Pour accélérer la traduction, ces peptides de venin sont même testés sur des « mini‑cerveaux » dérivés de patients (organoïdes cérébraux), qui peuvent démontrer leur efficacité dans un tissu neural humain avant les essais proprement dits 6 7. Cette approche de médecine personnalisée – faire correspondre un peptide de venin à la mutation de canal ionique d’un patient – aurait semblé relever de la science‑fiction aux médecins de l’époque de Mays. Pourtant, elle découle logiquement d’un siècle de progrès en neuropharmacologie et en science des toxines.

La recherche sur les venins a également conduit à des découvertes sur les mécanismes de l’épilepsie. Un cas intrigant est la toxine de serpent corail élucidée en 2015, qui cible les récepteurs GABAA. Contrairement à la plupart des venins de serpent qui provoquent la paralysie ou des hémorragies, le serpent corail à queue rouge produit une toxine qui verrouille les canaux des récepteurs GABAA en position ouverte, réduisant effectivement au silence les signaux inhibiteurs et précipitant des crises fatales chez les proies 14 15. C’était la première toxine naturelle connue à cibler les récepteurs GABA, et elle a fourni aux scientifiques un outil puissant pour sonder le rôle du GABA dans le contrôle des crises. En étudiant comment la toxine du serpent corail induit des crises (en empêchant la fermeture des récepteurs GABA), les chercheurs peuvent mieux comprendre certaines formes d’épilepsie et potentiellement concevoir des antidotes ou des thérapeutiques qui modulent les canaux GABA de manière opposée. En bref, les venins sont devenus des sondes inestimables du système nerveux, éclairant des voies que les bibliothèques de médicaments classiques pourraient négliger.

La pharmacologie moderne considère donc les venins non comme des poisons mais comme des plans. Chaque composant d’un venin agit sur une cible biologique spécifique ; notre tâche est d’isoler ces molécules et de les affiner en médicaments sûrs. Des dizaines de candidats médicamenteux dérivés de venins sont en cours de développement pour la douleur, l’épilepsie, les maladies auto‑immunes, et plus encore. Le parcours qui a commencé avec des dresseurs de serpents injectant de la crotaline à des patients malheureux a bouclé la boucle sous une forme bien plus sophistiquée. Désormais, la question n’est plus de savoir si les venins peuvent guérir – mais comment exploiter au mieux leur pouvoir thérapeutique. L’histoire du venin de cobra et de crotale dans l’épilepsie, autrefois un récit édifiant de charlatanisme, fait maintenant partie d’un récit plus vaste : les toxines de la nature comme remèdes de demain.


FAQ#

Q1. Les médecins ont‑ils vraiment essayé le venin de serpent comme traitement de l’épilepsie ?
R : Oui. Dans les années 1910, certains médecins (notamment le Dr Thomas Mays) ont injecté de petites doses de venin de crotale – appelé crotaline – à des patients épileptiques, dans l’espoir de prévenir les crises. Les essais ont rapidement montré que c’était inefficace et que cela aggravait parfois les crises 1 [^oai1].

Q2. Qu’est‑ce que la « crotaline » dans l’histoire de la médecine ?
R : La crotaline était le nom donné à un extrait brut de venin de crotale utilisé expérimentalement au début du XXᵉ siècle comme prétendu remède contre l’épilepsie. Les médecins de cette époque ont essayé des injections de crotaline dans l’épilepsie, mais cela n’a pas guéri la maladie [^oai1].

Q3. Existe‑t‑il aujourd’hui des médicaments à base de venin utilisés pour les crises ou la douleur ?
R : Oui – les peptides de venin constituent une source émergente de médicaments. Par exemple, le ziconotide, dérivé du venin de cône, est un médicament approuvé par la FDA pour les douleurs chroniques sévères, qui agit en bloquant les canaux calciques nerveux 5. Bien qu’aucun médicament issu de venin de serpent pour l’épilepsie ne soit encore sur le marché, les scientifiques développent des peptides de venin d’araignée et de serpent pour cibler les défauts de canaux ioniques dans les cas d’épilepsie difficiles à traiter 6.

Q4. Comment un peptide de venin de serpent peut‑il soulager la douleur sans effets secondaires dangereux ?
R : Les peptides de venin peuvent être hautement spécifiques de certains récepteurs nerveux. Un peptide de serpent, la mambalgine, se lie uniquement aux canaux ioniques sensibles aux acides impliqués dans la transmission de la douleur. Il bloque la transmission de la douleur aussi efficacement que la morphine, mais n’affecte pas les récepteurs opioïdes ni la respiration 3 4. Cette spécificité lui permet de supprimer la douleur sans la dépression respiratoire ni le risque d’addiction associés aux opioïdes.


Notes de bas de page#


Sources#

  1. Mays, T. J. « The Rattlesnake-Venom Treatment of Epilepsy. » Journal of the American Medical Association LX(11) (1913) : 847. (Lettre à la rédaction) 8.
  2. Jenkins, C. L., & Pendleton, A. S. « Crotalin in Epilepsy. » Journal of the American Medical Association 63(20) (1914) : 1749–1750. doi:10.1001/jama.1914.02570200043011 1.
  3. Schwartz, John C. Annual Report of the Ohio Hospital for Epileptics (Columbus, OH : 1920), p. 28. Cité dans Loring & Hermann, History of Epilepsy Neuropsychology (Oxford, 2012) [^oai1].
  4. Macht, David I. « Experimental and Clinical Study of Cobra Venom as an Analgesic. » Proceedings of the National Academy of Sciences USA 22(1) (1936) : 61–71. doi:10.1073/pnas.22.1.61 2.
  5. Diochot, S. et al. « Black mamba venom peptides target acid-sensing ion channels to abolish pain. » Nature 490(7421) (2012) : 552–555. doi:10.1038/nature11494 11 4.
  6. Zhang, Ling, et al. « Alpha-cobratoxin inhibits T-type calcium currents through muscarinic M4 receptor and Go-protein βγ subunits–dependent PKA pathway in dorsal root ganglion neurons. » Neuropharmacology 62(2) (2012) : 1062–1072. doi:10.1016/j.neuropharm.2011.10.017 12 13.
  7. Kolf, Catherine. « Researchers unlock secret of reclusive coral snake’s deadly venom. » Johns Hopkins University News (10 février 2015) 14 15.
  8. Zainal Abidin, S. A., et al. « Animal Venoms as Potential Source of Anticonvulsants. » F1000Research 13:225 (2024) : 15 pages. doi:10.12688/f1000research.147027.1 9 10.
  9. University of Queensland. « Developing venom-based epilepsy drugs using lab-grown organs. » IMB UQ News (25 septembre 2024) 6 7.
  10. Research!America. « Did You Know? The Leap from Snails to Pain Management. » Research!America Blog (18 août 2025) 5.