TL;DR
- Bristol a envoyé des expéditions vers l’ouest en 1480 et 1481 explicitement « to serch & fynde a certain Isle called the Isle of Brasile », d’après les archives civiques/judiciaires et les notices chronistiques brochure de la Bristol HA (2019) citant l’enquête contre l’officier des douanes Thomas Croft ; Itinerarium de Worcestre traduit dans le DCB, DCB, « John Jay ».
- Un marchand contemporain, John Day (1497/8), écrit que « the men from Bristol…found ‘Brasil’ », ce qui implique un atterrage ou des caps atteints avant Cabot ; le texte édité nous est parvenu via les archives de Simancas transcription Univ. de Bristol.
- L’ambassadeur d’Espagne Pedro de Ayala (25 juillet 1498) rapporte que Bristol a envoyé 2 à 4 caravelles par an pendant sept ans à la recherche de « the island of Brazil and the Seven Cities » source Univ. de Bristol.
- « Brasil » désigne ici l’île fantôme à l’ouest de l’Irlande, et non le pays sud-américain ; son nom et sa position viennent du folklore gaélique et de siècles de cartographie (1320–1870) blog de la Library of Congress, 2020.
- L’un des voyages de Bristol de 1481 transportait du sel, ce qui cadre avec un objectif de pêche ; s’ils ont atteint les Grands Bancs / Terre-Neuve, la discrétion est attendue dans une économie de la morue hautement concurrentielle synthèse de l’Univ. Memorial de Terre-Neuve, Innis, The Cod Fisheries (1940).
- Verdict : proto-connaissance crédible (vrais navires, vraies tentatives, lettres contemporaines) mais aucun journal de bord conservé ni description de côte sans ambiguïté. Cabot garde la couronne pour le premier atterrage anglais documenté ; Bristol a construit la piste.
« L’océan rompra ses liens, et une vaste terre nouvelle sera révélée. »
— Sénèque, Médée (trad.)
Bristol & « Brasil » : ce que disent réellement les documents#
La première poussée bristolienne clairement attestée date de 1480. William Worcestre note que John Jay Jr. était copropriétaire d’un navire parti de Kingroad « to the Island of Brasylle », commandé par le marin expérimenté « Thloyde » ; des tempêtes le repoussèrent vers l’Irlande après quelques semaines (la formulation de Worcestre est conservée dans des éditions ultérieures ; le DCB en donne une traduction concise et des références au texte latin) (DCB, « John Jay »). Un an plus tard, en 1481, une enquête judiciaire visant l’officier des douanes Thomas Croft enregistre que deux navires — le George et le Trinity — furent envoyés « to serch & fynde a certain Isle called the Isle of Brasile ». C’est exactement le type de trace administrative que les historiens affectionnent parce qu’elle est ennuyeuse, précise et difficile à falsifier (brochure de la Bristol Historical Association, p. 2–3 ; avec références à l’affaire Croft).
En avançant jusqu’au moment de Cabot, on trouve la lettre de John Day (hiver 1497/8), écrite par un marchand de Bristol à un « Grand Amiral » espagnol (probablement Colomb). Day affirme qu’« il est tenu pour certain que le cap de ladite terre a été trouvé… par les men from Bristol who found ‘Brasil’ », et que « Island of Brasil…is assumed and believed to be the mainland that the men from Bristol found » (transcription Univ. de Bristol). C’est un témoignage frais, dans les mois qui suivent le retour de Cabot.
Puis Pedro de Ayala — ambassadeur d’Espagne à Londres — écrit à Ferdinand et Isabelle le 25 juillet 1498 : « Depuis sept ans, les gens de Bristol ont armé deux, trois, quatre caravelles pour aller à la recherche de l’île de Brazil et des Sept Cités », et il affirme avoir vu une carte dressée par le découvreur, « un autre Génois comme Colón » (cet « autre Génois » est généralement identifié à Cabot) (édition Univ. de Bristol). Ce n’est pas un ragot de taverne ; c’est un rapport diplomatique.
Donc, signal documentaire : expéditions répétées (1480–81), affirmation quasi contemporaine d’un marchand sur une découverte antérieure de Bristol (1497/8), et rapport d’un ambassadeur espagnol décrivant un programme pluriannuel (1498). Rien de tout cela ne prouve un atterrage nord-américain avant Cabot, mais cela fait voler en éclats la caricature selon laquelle « personne ne regardait vers l’ouest ».
Ce que « Brasil » signifiait pour Bristol#
« Brasil » dans ces sources désigne l’île fantôme à l’ouest de l’Irlande, qui apparaît sur les portulans dès les années 1320, souvent comme une île circulaire traversée par un détroit central, et qui persiste sur les cartes jusqu’en 1873. Le blog cartographique de la Library of Congress passe en revue les exemples canoniques (Angelino Dulcert années 1320, Andrea Bianco 1436, Ortelius 1570, Jefferys 1753, « Imaginary Isle of O’Brazil ») (LoC, 2020). La note de l’Université de Bristol sur le texte de Salazar c.1476 précise l’onomastique : une racine gaélique (« Île des Bienheureux ») qui se trouve ensuite mêlée au bois de braise (brazilwood, une marchandise tinctoriale rouge), ce qui aide à expliquer pourquoi « Brazil » devient un aimant à fantasmes commerciaux et à contresens (U. Bristol, « Salazar’s c.1476 account »).
Point important : ces cartes ne vivaient pas sur Instagram ; elles vivaient dans la tête des marchands et dans les coffres des pilotes. Les îles fantômes sont une manière médiévale de coder des rumeurs en points de passage.
Du poisson, pas l’Eldorado#
La synthèse de l’Université Memorial note que la paire de 1481 transportait du sel — un indicateur efficace d’un objectif de pêche plutôt que de chasse au trésor. Elle situe la poussée bristolienne dans une écologie nord-atlantique déjà réputée pour la morue, les baleines et les oiseaux (Heritage NL/MI, « English Voyages before Cabot »). Le classique de Harold Innis sur l’économie de la morue explique pourquoi la discrétion est un équilibre rationnel : une firme qui découvre un banc riche ne le publie pas ; elle le pêche jusqu’à l’épuisement (Innis 1940 ; liste de lecture de Bristol). Si des marins de Bristol ont effleuré les Grands Bancs ou un cap de Terre-Neuve dans les années 1480, on s’attendrait exactement au type d’archives que nous avons : des navires enregistrés comme chassant « Brasil », des rumeurs de caps découverts, un diplomate notant des tentatives en série — et aucune carte laissée aux rivaux.
Le signal, organisé#
Tableau 1. Principaux signaux documentaires (1476–1498)
| Année | Preuve (qui/quoi) | Brève citation / affirmation | Ce que cela implique | Fiabilité | Où lire |
|---|---|---|---|---|---|
| c.1476 | Notice de Salazar (« Island of Brasil » comme mythe courant) | Brasil comme toponyme cartographique connu | Le nom et l’idée précèdent les voyages | ◕◕○ | U. Bristol, Salazar |
| 1480 | William Worcestre sur John Jay Jr. | Parti « to the Island of Brasylle »… repoussé vers l’Irlande | Tentative réelle de Bristol | ◕◕◕ | DCB, « John Jay » |
| 1481 | Enquête Croft ; navires George & Trinity | Envoyés « to serch & fynde… the Isle of Brasile » | Deuxième tentative organisée | ◕◕◕ | brochure Bristol HA |
| 1481 | Détail d’armement | Sel à bord | Intention halieutique | ◕◕○ | Heritage NL/MI |
| 1497/8 | John Day à un amiral espagnol | « Men from Bristol who found ‘Brasil’… a cape found earlier » | Contact antérieur (cap) | ◕◕◕ | U. Bristol, John Day |
| 1498 | Pedro de Ayala aux Rois Catholiques | 2–4 caravelles annuellement pendant 7 ans pour chercher Brasil/les Sept Cités | Programme persistant | ◕◕◕ | U. Bristol, Ayala |
Glyphes de fiabilité : ◕ = modérée ; ◕◕ = forte ; ◕◕◕ = très forte (pour ce que le document affirme).
Comment la rumeur devient piste de décollage#
Deux dynamiques rendent le « Brasil » de Bristol exceptionnellement lourd de conséquences :
A priori cartographiques → allocation de capital. Des îles fantômes comme Hy-Brasil restent sur les cartes pendant des siècles. Dans les années 1420, les archipels de type Antillia sont normalisés sur les portulans ; dans les années 1430, « Insula de Brasil » circule ; dans les années 1570, Ortelius montre « Brasil » au large de l’Irlande ; une carte de l’Amirauté britannique porte encore la mention « Brasil Rock » en 1873 (aperçu sur le blog de la LoC). Ces a priori poussent les marchands vers la machine à sous occidentale.
Incitations commerciales. Si votre cible est la morue, vous n’écrivez pas de poésie ; vous chargez du sel. L’esquisse de l’Université Memorial et la littérature bristolienne plus fournie (Jones, Condon) suivent l’élan vers l’ouest de la ville des années 1480 à l’ère Cabot, avec William Weston qui émerge comme un des premiers chefs de file après Cabot (Heritage NL/MI), (Condon 2018). Les travaux d’Evan T. Jones sur les financiers et le soutien de la Couronne montrent comment la rumeur s’est coagulée en crédit au milieu des années 1490 (Jones 2006), (Jones 2010).
La clause de prudence de l’historien. Rien ici ne renverse le statut de Cabot comme premier atterrage anglais documenté après les Vikings. Mais l’archive bristolienne de « Brasil » est anormalement bonne pour de la proto-connaissance : voyages répétés avec noms et navires, marchand reliant explicitement une navigation antérieure de Bristol au « continent » de Cabot, et ambassadeur étranger confirmant un programme de recherche pluriannuel. Ce n’est pas de la fumée ; c’est une lueur.
FAQ#
Q1. Un navire de Bristol a-t-il physiquement atteint Terre-Neuve avant 1497 ?
R. C’est possible ; la lettre de Day implique qu’un cap a été trouvé plus tôt, et la cargaison de sel de 1481 cadre avec un objectif de pêche, mais sans carte/journal conservé ni description côtière précise, les historiens s’en tiennent à plausible mais non prouvé (Day 1497/8 ; Heritage NL/MI).
Q2. « Brasil », ce n’est pas simplement le pays ?
R. Non. Le « Brasil » du XVe siècle dans ces sources anglaises est l’île fantôme à l’ouest de l’Irlande issue du folklore gaélique et des cartes médiévales ; le nom sud-américain vient du bois de braise (brazilwood), une marchandise tinctoriale (blog LoC ; U. Bristol, Salazar).
Q3. Pourquoi des pêcheurs cacheraient-ils une découverte d’une telle ampleur ?
R. Parce que de nouveaux bancs sont des rentes. La discrétion préserve l’avantage dans les économies de la morue ; ce n’est que lorsque la Couronne et les grands marchands se mobilisent que la publicité devient rentable. Innis en donne le récit classique ; Jones et Condon montrent les mécanismes bristoliens (Innis 1940 ; Condon 2018).
Q4. Les voyages de 1480–81 sont-ils universellement acceptés ?
R. Leur existence est ancrée dans des documents crédibles (Worcestre ; enquête Croft). Ce qui est débattu, c’est jusqu’où ils sont allés — poursuite d’une île fantôme ou véritable atterrage occidental (DCB ; brochure Bristol HA).
Notes#
Sources#
- Éditions de sources & documents
- University of Bristol, Dept. of History. « John Day letter to the Lord Grand Admiral (1497/8). » Transcription/traduction depuis l’Archivo General de Simancas.
- University of Bristol, Dept. of History. « Pedro de Ayala’s report (25 July 1498). » Transcription/traduction.
- University of Bristol, Dept. of History. « Salazar’s c.1476 account of Bristol’s discovery of Brasil. » Note contextuelle sur le toponyme.
- Dictionary of Canadian Biography (David B. Quinn). « JAY, JOHN. » Inclut un extrait traduit de l’Itinerarium de William Worcestre et des références au texte latin.
- Bristol Historical Association. Bristol and America 1480–1631. Brochure résumant la formulation de l’enquête Croft (« to serch & fynde… the Isle of Brasile ») avec références.
- Synthèses & travaux de recherche
- Jones, Evan T. « The Matthew of Bristol and the financiers of John Cabot’s 1497 voyage to North America. » English Historical Review (2006). Voir la page de lecture de Bristol avec liens vers résumé/HTML/PDF : University of Bristol, « Reading: Smugglers’ City. »
- Jones, Evan T. « Henry VII and the Bristol expeditions to North America: the Condon documents. » Historical Research 83 (2010) : 444–455. doi:10.1111/j.1468-2281.2009.00519.x
- Condon, Margaret M. « William Weston: early voyager to the New World. » Historical Research 91, no. 254 (2018) : 628–649. Oxford Academic.
- Quinn, David B. England and the Discovery of America, 1481–1620. Routledge, 1974 (rééd./e-book).
- Jones, Evan T., et Margaret M. Condon. Cabot and Bristol’s Age of Discovery: The Bristol Discovery Voyages 1480–1508. Cabot Project Publications, 2016 (numérisé par la Bristol Record Society).
- Contexte : cartes & mythe
- Library of Congress, blog Worlds Revealed. « Hy-Brasil: The Supernatural Island. » (2020). Avec galerie de cartes (Dulcert, Bianco, Ortelius, Jefferys, etc.).
- University of Minnesota, James Ford Bell Library. « The Pizzigano Portolan: A cartographic mystery. » (2024) — contexte sur les portulans et les cartes mentales de l’Atlantique.
- Pêcheries nord-atlantiques
- Innis, Harold A. The Cod Fisheries: The History of an International Economy. Toronto, 1940. (Analyse classique des dynamiques d’information et de marché.)
- Memorial University of Newfoundland / Heritage NL/MI. « English Voyages before Cabot. » Note la cargaison de sel et l’activité de Bristol.
- Recueils de sources & repères utiles
- Williamson, J. A. The Cabot Voyages and Bristol Discovery under Henry VII (Hakluyt Society, 1962). (Traductions des textes clés ; cité via la page de lecture de Bristol.)
- Reddaway & Ruddock (éds.). « The accounts of John Balsall, purser of the Trinity of Bristol, 1480–1. » Camden Miscellany XXIII (1969). (Comptes du commissaire de bord ; contexte pour l’armement de 1480–81.)