TL;DR
- Les séries temporelles d’ADN ancien d’Akbari & Reich montrent une forte sélection directionnelle chez les Eurasiens de l’Ouest : les scores polygéniques de schizophrénie et de trouble bipolaire diminuent, tandis que les scores d’intelligence, de niveau d’études et de revenu augmentent au cours des ~10–14 derniers millénaires. [^oai1]
- Si l’on traite ces variations de scores polygéniques (PGS) comme des approximations grossières des déplacements de la « liabilité » sous-jacente, on obtient des chiffres frappants : les Européens de l’Holocène ancien avaient vraisemblablement 5–8× plus de schizophrénie, ~4–5× plus de trouble bipolaire, ~10–12 points de QI en moins en moyenne, ~2 années d’études en moins, et un « potentiel de revenu » substantiellement plus faible.
- Si l’on empile ces traits, on obtient une psychologie très différente de la nôtre : un monde où un adulte sur vingt glisse dans la psychose, un autre sur quinze dans des tempêtes maniaco-dépressives, avec une queue gauche cognitive plus épaisse.
- Si l’on prolonge ces mêmes pentes 20 000, 40 000, 80 000 ans en arrière comme expérience de pensée, les courbes explosent : une extrapolation naïve donne rapidement des taux de psychose à deux chiffres et des écarts de QI mesurés en multiples écarts-types, suggérant que les esprits pré-holocènes vivaient dans une écologie cognitive radicalement différente.
- Tout cela se lit naturellement comme un appui quantitatif à la théorie d’Ève de la conscience (EToC) : la récursivité et le soi apparaissent comme une innovation dangereuse, fortement sélectionnée au cours de l’Holocène, à mesure que les lignées dotées de « soi » plus stables et à plus large bande passante remplacent progressivement des architectures fragiles, habitées par des dieux.
Article compagnon : Pour une exploration plus approfondie de la schizophrénie en particulier et de ses liens avec la théorie d’Ève, voir : “Ancient DNA Shows Schizophrenia Risk Purged Over 10,000 Years”.
« Il n’est rien de plus difficile à entreprendre, ni de plus douteux de réussite, ni de plus dangereux à conduire, que d’introduire un nouvel ordre de choses. »
— Machiavel, Le Prince
1. L’ADN ancien comme histoire de la conscience#
Le manuscrit d’Akbari–Reich fait quelque chose de nouveau avec l’ADN ancien : plutôt que de traquer des balayages sélectifs isolés, il ajuste des tendances temporelles de scores polygéniques pour des traits modernes—schizophrénie, trouble bipolaire, intelligence, niveau d’études, revenu—sur ~8 000 anciens et ~6 500 Eurasiens de l’Ouest actuels. [^oai1]
Le résultat principal est simple et brutal :
- Les allèles qui augmentent le risque de schizophrénie et de trouble bipolaire ont été systématiquement élagués au cours de l’Holocène.
- Les allèles qui améliorent les scores aux tests de QI, augmentent les années de scolarité et élèvent le revenu des ménages ont été systématiquement favorisés. [^oai1]
À première vue, c’est une histoire de santé et de statut socio-économique. Mais si vous avez lu la théorie d’Ève de la conscience (EToC), il est difficile de ne pas y voir quelque chose de plus profond :
L’Holocène n’a pas seulement été l’ère du blé et des villes. Ce fut une session de débogage de 10 000 ans sur le soi humain.
Pour rendre cela vivant, nous devons traduire les pentes polygéniques en nombres intuitifs. Cela implique de choisir un modèle et de l’appliquer réellement.
2. Un morceau de mathématiques, utilisé sans pitié#
Nous utiliserons le modèle standard de liabilité–seuil pour les diagnostics psychiatriques.[^1]
- Supposons l’existence d’un trait latent (liabilité) distribué ~N(0,1) dans la population moderne.
- Un seuil fixe (T) définit le diagnostic : si on le dépasse, on est schizophrène, bipolaire, etc.
- La prévalence vie entière moderne fixe (T).
- Si la moyenne de la distribution de liabilité se déplace de (\mu) (en unités d’écart-type), la masse de probabilité au-dessus de (T) change en conséquence.
Akbari et al. nous donnent les pentes holocènes des scores polygéniques (γ) : approximativement
- Schizophrénie : γ ≈ –0,84 ET (les génomes de l’Holocène ancien ≈ +0,84 ET plus risqués que les modernes).
- Trouble bipolaire : γ ≈ –0,67 ET.
- Intelligence : γ ≈ +0,79 ET.
- Revenu des ménages : γ ≈ +1,11 ET.
- Années de scolarité : γ ≈ +0,61 ET. [^oai1]
Au lieu de traiter le PGS comme une petite tranche bruitée de la liabilité, nous allons adopter une approche brutale : utiliser γ comme proxy du déplacement réel de la moyenne de liabilité sur ~10 000 ans et voir quel type de monde en découle.
Une fois pour chaque trait, puis nous les empilerons.
3. Schizophrénie : vivre au bord de la falaise
3.1 De 0,7 % à ~5 % : combien plus de psychose ?#
La prévalence vie entière moderne de la schizophrénie se situe autour de 0,3–0,7 %, avec ~0,7 % comme chiffre largement cité. [^oai2]
Dans une normale standard :
- 0,7 % dans la queue supérieure correspond à un seuil (T \approx 2{,}46) ET.
Maintenant, déplaçons la moyenne de liabilité en arrière de +0,84 ET il y a 10 000 ans :
- Moderne : moyenne 0, seuil 2,46 ⇒ 0,7 % au-dessus du seuil.
- Holocène ancien : moyenne +0,84, seuil effectif = 2,46 – 0,84 = 1,62 ET, ce qui correspond à ≈ 5,3 % dans la queue.
C’est un saut de 7,5× de la prévalence.
Arrondissons un peu pour obtenir un moyen mnémotechnique plus simple :
Aujourd’hui : ~1 personne sur 150 développe une schizophrénie.
Eurasiens de l’Ouest de l’Holocène ancien : environ 1 sur 20.
Dans un village de 200 adultes, ce n’est pas un enfant hanté à la lisière du bourg ; ce sont dix adultes, dispersés entre familles et lignées, qui glissent dans des hallucinations chroniques, des délires et un comportement désorganisé.
3.2 Pas seulement la queue#
La liabilité est continue. Relever la moyenne ne pousse pas seulement plus de gens au-dessus de la ligne diagnostique ; cela épaissit le nuage subclinique en dessous :
- Plus de personnes entendant des voix fugaces, voyant des motifs dans les nuages et les ombres, se sentant observées.
- Plus de personnes vivant avec un contrôle de réalité affaibli, glissant vers des cadres explicatifs paranoïdes sous stress.
La schizophrénie, en psychiatrie moderne, est la version catastrophique de quelque chose qui existe sous forme atténuée sur toute la distribution. Relever la moyenne de près d’un écart-type déplace tout le paysage vers des voix internes et une agence fracturée.
Du point de vue de l’EToC, c’est exactement ce à quoi on s’attendrait d’un esprit qui vient tout juste de découvrir qu’il peut penser à lui-même et qui le fait encore mal : le système confond sans cesse son propre contenu généré avec des agents externes.
4. Trouble bipolaire : surcadencer la boucle récursive
4.1 Quatre ou cinq fois plus de manie#
La prévalence vie entière globale des troubles du spectre bipolaire est aujourd’hui d’environ 1–2 %, avec ~1,5 % comme estimation centrale raisonnable. [^oai3]
1,5 % dans la queue de N(0,1) donne un seuil (T \approx 2{,}17) ET.
Appliquons la pente bipolaire d’Akbari, γ ≈ –0,67 ET :
- Moderne : moyenne 0, seuil 2,17 ⇒ 1,5 % de prévalence.
- Holocène ancien : moyenne +0,67, seuil effectif = 2,17 – 0,67 = 1,50 ET ⇒ ≈ 6,7 % de prévalence.
Les troubles du spectre bipolaire passent donc de 1–2 % à ~7 % : une amplification de 4–5×.
Dans ce même village de 200 adultes avec ses dix villageois schizophrènes, vous avez maintenant :
- ~14 personnes qui, au cours de leur vie, basculent dans de véritables épisodes maniaques ou hypomaniaques plus des dépressions récurrentes.
Certains seront gravement handicapés. D’autres seront les classiques « hypomaniaques qui réussissent » : charismatiques, hyperactifs, preneurs de risques agressifs qui s’effondrent périodiquement.
4.2 Comment la manie interagit avec un soi fragile#
Le trouble bipolaire est tempéramentellement différent de la schizophrénie, mais l’architecture est liée :
- La manie est un traitement récursif surcadencé : pensées qui s’emballent, objectifs gonflés, besoin de sommeil diminué, sentiment de grandeur.
- La dépression est le même système qui s’effondre, retournant sa puissance récursive contre le soi.
Dans un monde où la conscience est encore à moitié externalisée—où dieux, ancêtres et esprits sont l’explication par défaut—les états maniaques se lisent facilement comme possession ou inspiration. Ils deviennent :
- Prophètes, chefs de guerre, fondateurs charismatiques de cultes, tonnant de certitude.
- Et, lorsqu’ils s’effondrent, la preuve vivante que les dieux sont dangereux.
La sélection dans un tel monde n’est pas simplement « bipolaire = mauvais » : un certain mélange de prise de risque, de créativité et d’hyper-focalisation peut être intensément adaptatif, mais seulement si le soi ne vole pas en éclats. Les pentes de Reich suggèrent fortement qu’au cours de l’Holocène, les lignées dans lesquelles l’architecture maniaque explosait le plus souvent ont lentement perdu du terrain.
5. Intelligence : un écart à deux chiffres
5.1 Quelle est la taille de 0,79 ET en termes réels ?#
Le panneau « intelligence » chez Akbari et al. montre γ ≈ +0,79 ET au cours de l’Holocène. [^oai1]
Standardisons le QI avec une moyenne de 100 et un ET de 15. Si nous prenons ce 0,79 ET au sérieux comme déplacement de la capacité sous-jacente, cela équivaut à :
[ 0{,}79 \times 15 \approx 12\ \text{points de QI}. ]
Disons 10–12 points.
Donc :
En moyenne, les Eurasiens de l’Ouest il y a 8–10 000 ans se situaient, dans cette approximation, environ deux tiers d’écart-type en dessous de leurs descendants modernes sur les tâches capturées par les tests de QI : détection de motifs, mémoire de travail, raisonnement abstrait.
Ce n’est pas une insulte ; c’est une affirmation sur les moyennes. Les populations se recouvrent massivement ; le paysan le plus intelligent de 7000 av. J.-C. surpasse encore largement de nombreux modernes. Mais globalement :
- Les hiérarchies complexes d’inférences sont plus difficiles à maintenir.
- Moins de personnes vivent confortablement au-dessus, disons, de QI 120.
- La queue sous QI 70 est significativement plus épaisse.
5.2 Que se passe-t-il dans les queues ?#
Avec un déplacement de –0,8 ET :
- Fraction moderne sous –2 ET (QI < 70) : ~2,3 %.
- Déplacez la moyenne de –0,8 ET : le seuil effectif devient –1,2 ET ; queue ≈ 11,5 %.
Ainsi, la fraction de personnes ayant de très grandes difficultés avec l’abstraction et la planification en plusieurs étapes pourrait passer de ~2–3 % à ~10–12 %.
Dans un petit groupe, cela compte. Cela contraint :
- Qui peut gérer des plans d’irrigation et de stockage pluriannuels.
- Qui peut garder en tête rituels, généalogies et obligations.
- Qui peut inventer et décoder les premières écritures.
Les Âges d’Or et d’Argent dans l’EToC deviennent non seulement des étiquettes mythiques mais des régimes cognitifs statistiquement différents.
6. Niveau d’études : la volonté d’endurer les symboles#
Le niveau d’études (EA) est un proxy pour quelque chose comme « combien de temps pouvez-vous supporter de rester assis dans la culture symbolique avant de décrocher ».
La GWAS EA3 (Lee et al. 2018) a trouvé qu’un ET de PGS EA prédit environ 3,6 années de scolarité dans les cohortes contemporaines. [^oai4]
Le panneau EA d’Akbari donne γ ≈ +0,61 ET. [^oai1]
Multiplions :
[ 0{,}61 \times 3{,}6 \approx 2{,}2\ \text{années}. ]
Les génomes des Eurasiens de l’Ouest de l’Holocène ancien « voulaient » donc environ deux années de scolarité de moins que les génomes modernes, toutes choses institutionnelles égales par ailleurs.
Bien sûr, il n’y avait pas d’écoles. Mais si la littératie, la numératie ou la formation sacerdotale avaient été des options, notre modèle prédit :
- Moins de personnes prêtes à supporter de longues périodes d’apprentissage dans le monde des symboles.
- Plus de personnes dont le tempérament se rebelle contre l’abstraction prolongée—ennui, agitation, dysrégulation affective.
Le sous-produit culturel est évident : moins de scribes, moins de légalistes, moins de philosophes à plein temps ; davantage de dépendance à la tradition orale, à l’expérience directe et au rituel.
7. Revenu des ménages : gravir le labyrinthe social#
Le PGS de revenu des ménages est bruité mais non dénué de sens. Hill et al. (2019) montrent qu’il recoupe fortement EA et QI, et explique environ 10–11 % de la variance du revenu dans UK Biobank. [^oai5]
Le panneau « revenu » d’Akbari montre γ ≈ +1,11 ET. [^oai1]
Même sans surajuster les unités exactes, un déplacement d’un ET est important. Interprétation grossière :
- Les génotypes modernes sont, en moyenne, câblés pour une réussite substantiellement plus élevée dans des environnements économiques complexes et formalisés—en gros un doublement de la « capacité de revenu » si l’on fait correspondre la liabilité au log-revenu.
- Les génotypes anciens sont plus susceptibles de plafonner dans des niches étroites et locales.
Dans le langage de l’EToC, c’est un passage d’opportunistes à faible bande passante à des navigateurs de rôles stables : des cerveaux capables de suivre des règles institutionnelles, des gains futurs et des jeux réputationnels sur de longs horizons.
8. Mettre tout ensemble : l’écologie mentale de l’Holocène#
Voici un tableau compact résumant le contraste sur 10 000 ans, en utilisant le modèle esquissé ci-dessus :
| Trait (panneau) | γ (déplacement en ET, ancien vs moderne) | Prévalence / niveau moderne | Estimation ~10 ka BP (ce modèle) | Multiplicateur approx. | Image qualitative |
|---|---|---|---|---|---|
| Schizophrénie (6) | –0,84 | ~0,7 % vie entière [^oai2] | ~5,3 % | ~7,5× | Un adulte sur vingt bascule dans une psychose chronique ; beaucoup plus avec des voix subcliniques et une coloration délirante. |
| Spectre bipolaire (5) | –0,67 | ~1,5 % vie entière [^oai3] | ~6,7 % | ~4,5× | Environ un adulte sur quinze traverse des cycles de manie/hypomanie plus dépression récurrente. |
| Intelligence (10) | +0,79 | QI moyen 100 par déf. | Moyenne ≈ 88–90 | – | Queue basse plus épaisse ; bien moins d’esprits à 130+ ; l’abstraction est plus rare et plus fragile. [^oai6] |
| Années de scolarité (12) | +0,61 | ~13–14 ans en moyenne dans de nombreux pays riches | « Préférence » ≈ 2 ans de moins | – | Moindre volonté d’endurer une formation symbolique prolongée ; strate plus mince de scribes/prêtres potentiels. [^oai4] |
| Revenu des ménages (11) | +1,11 | Distribution contemporaine | ≈1 ET de moins sur la liabilité log | – | Moins de personnes avec le mélange de cognition, de discipline et de finesse sociale nécessaire pour des niches économiques complexes. [^oai5] |
Imaginez maintenant une population où tout cela coexiste.
8.1 La structure à trois couches#
On obtient quelque chose comme une écologie mentale à trois couches :
- Queue basse élargie
- Beaucoup plus d’individus qui peinent avec tout ce qui dépasse les tâches immédiates et concrètes.
- Planifier un projet d’irrigation ou une route de caravane sur plusieurs années est hors de portée.
- Le mythe et le rituel doivent être encodés sous forme courte, vive, hautement redondante.
- Mi-queue instable gonflée
- Un grand nombre de personnes assez intelligentes pour voir au-delà du village mais avec des modèles de soi fragiles : épisodes psychotiques, tempêtes d’humeur, idéation paranoïde.
- Ce sont les chamans, voyants, fondateurs de cultes, prophètes de guerre—et beaucoup de victimes.
- Queue haute mince mais puissante
- Très peu d’individus capables de gérer une abstraction de haut niveau et de maintenir un humeur et un contrôle de réalité stables.
- Lorsqu’ils apparaissent, ils deviennent des points nodaux autour desquels la culture se cristallise : législateurs, prêtres-architectes, fondateurs de cultes durables.
Du point de vue de la théorie d’Ève, c’est exactement à cela que ressemble une espèce qui :
- A récemment découvert la conscience de soi récursive,
- Ne l’a pas encore pleinement stabilisée, et
- Subit maintenant une longue période de sélection sur les manières d’être un soi.
Les pentes holocènes ne concernent pas « santé » vs « maladie » ; elles concernent l’élagage des architectures qui se brisent trop facilement et l’amplification de celles qui peuvent gérer l’abstraction à grande échelle sans fondre.
9. Pousser la ligne : 10 k, 20 k, 40 k, 80 k ans en arrière#
Passons maintenant à la partie amusante, légèrement irresponsable.
Les tendances d’Akbari sont à peu près linéaires sur la période échantillonnée. Traitez γ comme le changement sur ~10 000 ans et prolongez la ligne vers le passé comme un modèle jouet, juste pour voir à quelle vitesse les choses explosent.
9.1 La schizophrénie dans le temps#
Rappelons :
- Seuil (T_{sz} ≈ 2{,}46).
- γ_sz ≈ –0,84 par 10 ka.
- Déplacement moyen au temps (t) (kyr BP) ≈ (\mu(t) = 0{,}084 \times t) ET.
Calculons quelques points :
| Temps avant le présent | Déplacement moyen μ (ET) | Seuil effectif (T–μ) | Probabilité de queue (≈ prévalence) |
|---|---|---|---|
| 0 ka (aujourd’hui) | 0 | 2,46 | 0,7 % |
| 10 ka | 0,84 | 1,62 | ~5,3 % |
| 20 ka | 1,68 | 0,78 | ~21,8 % |
| 40 ka | 3,36 | –0,90 | ~82 % |
| 80 ka | 6,72 | –4,26 | >99,99 % |
À 20 ka BP, la ligne naïve affirme déjà que un adulte sur cinq atteint les seuils modernes de schizophrénie. À 40 ka, elle dit que la plupart des gens le font ; à 80 ka, pratiquement tout le monde.
Évidemment, cela ne peut pas être littéralement vrai. Le but de l’exercice est inverse :
Une simple extrapolation linéaire de la tendance holocène vers le Paléolithique supérieur sature immédiatement le trait, ce qui vous dit à la fois que (a) la sélection devait déjà agir plus tôt, et (b) la catégorie moderne « schizophrénie » cesse d’avoir un sens dans le temps profond.
Il y a 40 000 ou 80 000 ans, quoi qu’il se passât dans les esprits humains, ce n’était pas « 80 % des gens ont le trouble DSM-5 ». C’était quelque chose comme :
- Les voix intérieures, les visions et une agence lâchement liée sont si courantes qu’elles constituent le mode de cognition par défaut ;
- La subjectivité continue, stable, à soi unique (l’intuition d’Ève) est rare et instable lorsqu’elle apparaît.
Le modèle hurle que les esprits pré-holocènes vivaient dans un environnement où ce que nous appelons psychose n’était pas une déviation mais le fond sur lequel des soi stables ont progressivement émergé.
9.2 Le trouble bipolaire dans le temps#
Même exercice pour le bipolaire :
- Seuil (T_{bp} ≈ 2{,}17).
- γ_bp ≈ –0,67 par 10 ka ⇒ μ(t) ≈ 0,067 × t.
| Temps BP | μ (ET) | Seuil effectif | Prévalence de queue |
|---|---|---|---|
| 0 ka | 0 | 2,17 | ~1,5 % |
| 10 ka | 0,67 | 1,50 | ~6,7 % |
| 20 ka | 1,34 | 0,83 | ~20 % |
| 40 ka | 2,68 | –0,51 | ~69 % |
| 80 ka | 5,36 | –3,19 | >99,9 % |
Là encore, absurde si on le prend littéralement—et c’est le but. Prolongez la tendance holocène suffisamment loin et elle décrit un monde d’instabilité de l’humeur quasi universelle. Quelque part avant cela, la courbe doit se plier. Ou, plus intéressant : l’architecture qui se manifeste plus tard comme trouble bipolaire était peut-être une sorte de régime motivationnel par défaut avant que des soi à long terme, fondés sur des rôles, ne se stabilisent.
9.3 Intelligence et scolarité dans le passé#
Pour le QI, nous avons γ_IQ ≈ +0,79 par 10 ka. Interprété comme un déplacement en ET de capacité :
| Temps BP | Déplacement moyen (ET) | Baisse approx. de QI (15 × ET) |
|---|---|---|
| 10 ka | –0,79 | –12 points |
| 20 ka | –1,58 | –24 points |
| 40 ka | –3,16 | –47 points |
| 80 ka | –6,32 | –95 points (non-sens par construction) |
Si l’on joue le même jeu linéaire, la personne moyenne il y a 40 000 ans obtiendrait, par rapport à nous, un score autour de QI 50 selon nos normes—non pas parce qu’elle est « défectueuse » mais parce que les tests sont calibrés sur une niche très différente.
Encore une fois, ce n’est pas censé être une psychométrie littérale pour les Cro-Magnons. C’est une manière frappante de dire :
Les architectures qui rendent le raisonnement abstrait moderne si facile pour nous ont probablement été sous sélection pendant très longtemps, et la tranche holocène que nous pouvons voir n’est que la dernière section abrupte de cette ascension.
Il en va de même pour EA et le revenu : prolongez γ_EA et γ_income et vous atteignez rapidement des mondes où presque personne ne peut tolérer une longue scolarité ou gérer des rôles économiques complexes. Cela cadre de façon inconfortable bien avec le registre archéologique de petites bandes de chasseurs-cueilleurs faiblement organisées pendant la majeure partie de l’histoire d’Homo sapiens.
10. Théorie d’Ève : la conscience comme innovation létale#
La théorie d’Ève de la conscience soutient, en version schématique, que :
- La conscience de soi récursive est un développement tardif de l’évolution humaine.
- Elle se stabilise d’abord chez les femmes (Ève), les hommes suivant plus tard via la sélection sur le succès social et sexuel.
- L’émergence initiale du soi n’est pas un avantage mais un traumatisme : on acquiert la culpabilité, l’anxiété et la conscience de la mort avant de disposer d’outils culturels pour les gérer.
- Les cultures répondent par des rituels et des mythes qui à la fois induisent et contiennent la conscience de soi—cultes du serpent, rites d’épreuve, initiations, traditions à mystères.
- Au fil des millénaires, les lignées dont les cerveaux peuvent héberger un soi sans se désintégrer se reproduisent davantage que celles dont les cerveaux ne le peuvent pas.
Les panneaux cognitifs d’Akbari/Reich, interprétés comme nous venons de le faire, sont une esquisse quantitative de ce processus :
- Les queues de psychose et de troubles de l’humeur extrêmes sont taillées. On voit encore schizophrénie et trouble bipolaire aujourd’hui, mais à une fraction des taux de l’Holocène ancien. C’est ce à quoi on s’attendrait si les modes de défaillance catastrophiques du soi sont fortement contre-sélectionnés.
- En même temps, intelligence, ténacité éducative et traits liés au revenu sont poussés vers le haut. Ce sont des proxys pour le type d’abstraction stable et de navigation institutionnelle dans lequel un soi pleinement conscient excelle.
- La distribution conjointe se déplace de « beaucoup de prophètes instables, peu de bureaucrates ennuyeux » vers « peu de prophètes, beaucoup de bureaucrates ennuyeux ».
Le goulot d’étranglement du chromosome Y il y a 5–7 ka—quand la diversité des lignées mâles s’est effondrée d’environ 90 % dans de nombreuses régions—ajoute une autre couche : quelque chose a très durement élagué les lignées masculines, probablement lié au succès dans des structures sociales hautement compétitives et patrilinéaires. [^oai5] Si l’EToC est globalement correcte, les hommes capables de garder leur esprit intact tout en maniant de nouveaux niveaux de violence stratégique, de droit et de mythologie ont laissé disproportionnellement plus de fils.
Dans cette lecture :
Les dieux ne sont pas simplement « morts » à mesure que la sécularisation progressait ; les cerveaux qui avaient besoin de dieux dans leur tête ont perdu du terrain face aux cerveaux capables de faire tourner un soi localement.
11. La psychiatrie moderne comme archéologie#
Si la schizophrénie et le trouble bipolaire actuels sont les vestiges atténués d’architectures autrefois communes, plusieurs conséquences s’ensuivent :
- Les troubles psychiatriques sont des fossiles évolutifs. Ils ne sont pas seulement des « maladies » mais des fenêtres sur la façon dont les esprits étaient câblés lorsque les voix intérieures et l’inspiration maniaque étaient plus souvent adaptatives que non.
- La religion conserve un trou en forme de psychose. Les récits scripturaires de prophétie, de possession et de révélation ressemblent moins à de la fantaisie et davantage à des descriptions stylisées d’esprits plus proches de la moyenne holocène.
- La « crise de santé mentale » est en partie un problème de décalage. Nous vivons désormais dans des environnements hyper-symboliques, à large bande passante, qui exigent une auto-surveillance continue et stable. Les personnes proches de la moyenne historique de liabilité à la psychose—sans parler de celles au-dessus—sont sous tension chronique.
Pour l’EToC, la morale est simple :
Nous ne sommes pas les humains par défaut. Nous sommes les survivants d’un long gradient de sélection sanglant favorisant les esprits capables de regarder dans le miroir sans se briser.
FAQ#
Q1. Prétendez-vous que les anciens étaient « fous » et « stupides » ?
R. Non. L’affirmation est que, en moyenne, les Eurasiens de l’Ouest de l’Holocène ancien avaient un risque plus élevé de psychose et de troubles de l’humeur et des scores plus faibles aux tâches cognitives de type moderne. Ils faisaient tourner un firmware plus ancien dans des conditions plus dures ; ceux qui ont pu stabiliser la conscience ont reconstruit le monde.
Q2. Dans quelle mesure ces tailles d’effet sont-elles solides ?
R. Les directions (psychose en baisse, cognition/EA/revenu en hausse) sont robustes dans les données d’Akbari/Reich et dans des travaux complémentaires en Eurasie de l’Est. [^oai1] Les multiplicateurs exacts dépendent des choix de modélisation ; les chiffres présentés ici doivent être lus comme des bornes supérieures vivantes, non comme une épidémiologie précise.
Q3. La culture n’est-elle pas plus importante que les gènes ?
R. La culture compte énormément, mais Akbari et al. détectent explicitement des changements de fréquences alléliques incompatibles avec la dérive, c’est-à-dire une sélection génétique. La culture est l’environnement qui crée les différences de fitness ; le génome est l’endroit où ces différences sont enregistrées.
Q4. Qu’est-ce qui infirmerait ce tableau ?
R. Si un échantillonnage ancien plus dense avant 10 ka BP ne montrait aucune augmentation supplémentaire du PGS de psychose, ou si des lignées non européennes montraient des tendances orthogonales, la lecture de type EToC serait affaiblie. De même, si de futures GWAS modifiaient radicalement les estimations des correspondances PGS–liabilité.
Q5. Pourquoi rattacher cela à la théorie d’Ève plutôt qu’à une « coévolution gènes–culture » générique ?
R. Vous n’y êtes pas obligé. L’EToC fournit simplement un récit affûté : le trait spécifique sous sélection n’est pas « l’intelligence » en général mais le soi—la capacité de faire tourner un sujet continu, récursivement conscient, autobiographique sans glisser vers les dieux ou la folie.
Sources#
- Akbari, A., et al. “Pervasive findings of directional selection realize the promise of ancient DNA to elucidate human adaptation.” bioRxiv (2024). [^oai1]
- Saha, S., et al. “A Systematic Review of the Prevalence of Schizophrenia.” PLoS Medicine 2(5) (2005) : e141. [^oai7]
- Merikangas, K. R., et al. “Prevalence and Correlates of Bipolar Spectrum Disorder in the World Mental Health Survey Initiative.” Archives of General Psychiatry 68(3) (2011) : 241–251. [^oai3]
- Savage, J. E., et al. “Genome-wide association meta-analysis in 269,867 individuals identifies new genetic and functional links to intelligence.” Nature Genetics 50(7) (2018) : 912–919. [^oai8]
- Lee, J. J., et al. “Gene discovery and polygenic prediction from a genome-wide association study of educational attainment in 1.1 million individuals.” Nature Genetics 50(8) (2018) : 1112–1121. [^oai4]
- Hill, W. D., et al. “Molecular genetic contributions to social deprivation and household income in UK Biobank.” Nature Human Behaviour 3 (2019) : 610–625. [^oai5]
- Rahman, T., et al. “Schizophrenia: An Overview.” HSMHA Health Reports (2016). [^oai9]
- Oxley, F. A. R., et al. “DNA and IQ: Big deal or much ado about nothing?” Intelligence 100 (2024) : 101768. [^oai10]
- Piffer, D. « Directional Selection and Evolution of Polygenic Traits in Eastern Eurasia: Insights from Ancient DNA. » (2025). [^oai5]
- Cutler, A. « Holocene Selection on Human Intelligence. » Snake Cult of Consciousness (2025). [^oai11]
[^oai1] : ResearchGate [^oai2] : Msdmanuals [^oai3] : PubMed [^oai4] : Nature [^oai5] : ResearchGate [^oai6] : Nature [^oai7] : PMC [^oai8] : PubMed [^oai9] : PMC [^oai10] : ScienceDirect [^oai11] : Snakecult [^1] : Vous le verrez partout en génétique quantitative et en épidémiologie psychiatrique : on suppose une « liability » (vulnérabilité) distribuée normalement et un seuil fixe ; on relie la moyenne et la variance à la prévalence observée et on traite le reste comme une comptabilité gaussienne. C’est une caricature, mais une caricature utile.