TL;DR

  • Les récits de déluge sont inégalement répartis en Afrique ; les cas précoloniaux les mieux attestés se concentrent sur les Mande/Bamana (Faro) et les Yorùbá (le déluge d’Òlókun), avec le « Tumbainot » nilotique (Nandi/Maasai) comme variante vraisemblablement syncrétique post-contact. Voir Dundes (1988) pour le cadre global ; Kähler-Meyer (1988) sur le Cameroun ; les entrées primaires pour Faro et Òlókun ; Hollis (1909) pour les Nandi.
  • Le récit égyptien de la « Destruction de l’humanité » (Livre de la Vache céleste) n’est pas un déluge classique mais un épisode de crue de bière-sang qui occupe fonctionnellement la place de la catastrophe suivie d’un recommencement.
  • Les traditions khoïsan mettent l’accent sur les serpents/pluies-serpents qui peuvent inonder la terre, mais les déluges canoniques globaux sont rares ; catastrophe aquatique ≠ déluge universel.
  • Madagascar conserve plusieurs légendes de déluge dans les archives missionnaires du XIXᵉ siècle (Antananarivo Annual ; Sibree), vraisemblablement marquées par une influence austronésienne.
  • Il faut s’attendre à de la diffusion près des corridors chrétiens/islamiques (Sahel, hauts plateaux nilotiques, côte swahilie), à une saillance écologique là où des événements fluviaux catastrophiques se répètent, et à une dérive de genre (d’inondations cosmiques vers des inondations régionales).
  • Traiter les affirmations sur un déluge dogon avec prudence : le noyau de la cosmologie dogon est hydrophile (Nommo) mais une grande partie du corpus de « science cosmique » est contestée (Apter ; van Beek).

« L’histoire du déluge est fréquemment un mythe de recréation. »
The Flood Myth (Dundes, éd., 1988)


Pourquoi les déluges africains semblent « discontinus »#

Thèse. Comparés au Proche-Orient ou à l’Océanie, les déluges anéantissant toute l’humanité sont plus rares à travers l’Afrique ; là où ils apparaissent, l’écologie des motifs penche vers (i) l’agence d’esprits des eaux et de cours d’eau (Faro, Òlókun), (ii) le recommencement moral via inondation (hauts plateaux camerounais), ou (iii) la noahisation post-contact (hauts plateaux nilotiques). Cette distribution correspond (a) aux corridors de diffusion (mer Rouge/océan Indien & Sahel), (b) à l’hydrologie (le Nil ≠ déluge apocalyptique ; la crue annuelle est ritualisée), et (c) au biais de collecte (les collecteurs missionnaires/coloniaux ont surpondéré les parallèles noachiques).

Définition de travail : inclure les inondations à l’échelle d’une civilisation conçues comme recommencements punitifs ; exclure les crues saisonnières ordinaires sauf si elles sont narrativisées comme cosmogoniques/civilisationnelles.

Méthode : privilégier les textes primaires/anciens (par ex. Hollis 1909 ; Antananarivo Annual ; égyptologie canonique) et les synthèses évaluées par les pairs (Dundes ; Kähler-Meyer), en signalant les corpus contestés (Dogon).


Dossiers régionaux (avec attestations clés)

Afrique de l’Ouest (Mande & Yorùbá)#

Bamana/Mande (Mali) : le déluge de Faro.
Dans la cosmologie bamana, Faro (esprit de l’eau) rétablit l’ordre cosmique ; Dieu fait déborder l’étang de Faro, produisant un grand déluge. Les humains/animaux montent dans une arche, le déluge dure sept jours, et Faro rétablit la création. Motifs : agence d’une divinité aquatique ; arche ; déluge temporisé ; recréation. Références primaires/standard : résumé d’Oxford Reference de « Faro and the Albino Twins » (condensé de l’ethnographie mande classique).

Yorùbá (Nigeria) : la colère d’Òlókun et le déluge du monde.
Dans certains cycles yorùbá, Òlókun (divinité des profondeurs) inonde le monde après un affront ; une médiation rituelle/Ifá (souvent via Ọ̀rúnmìlà) rétablit l’équilibre. Motifs : divinité océanique ; inondation punitive ; renversement rituel. Les études savantes sur l’écologie des dieux fluviaux/aquatiques yorùbá mentionnent explicitement l’épisode du déluge.

Note comparative. Les deux récits intègrent une souveraineté hydrologique (divinités de la mer/du fleuve) plutôt qu’une simple colère pluviale ; tous deux se concluent par une technique rituelle (Ifá ; ordre de Faro) plutôt que par une théologie de l’alliance.

Nil & Afrique du Nord-Est#

Égypte ancienne : « Destruction de l’humanité » (Livre de la Vache céleste).
Ce n’est pas un déluge mondial mais une catastrophe liquide : l’humanité se rebelle ; Hathor-Sekhmet massacre ; une bière teintée de rouge inonde les champs, stoppant l’anéantissement. Motifs : inondation catastrophique ; ivresse comme miséricorde ; réorganisation cosmologique. Entrée moderne standard : vue d’ensemble dans l’UCLA Encyclopedia of Egyptology ; voir aussi l’article général sur le Livre de la Vache céleste.

Lecture : Fonctionnellement, il s’agit d’une catastrophe suivie d’un recommencement analogue au déluge sans inondation océanique littérale.

Afrique de l’Est (hauts plateaux nilotiques)#

Nandi / ensemble kalenjin (Kenya) : Tumbainot.
Enregistrement classique : Hollis (1909) pour les Nandi. Le héros civilisateur Tumbainot est averti d’un déluge ; il construit un vaisseau/coffre, survit avec sa famille ; des tests par oiseaux (par ex. colombe) apparaissent dans des variantes ; s’ensuit l’installation sur les hauteurs. Motifs : avertissement ; refuge construit ; reconnaissance aviaire.
Signal de diffusion : fortes résonances noachiques dans les documents des XIXᵉ–XXᵉ siècles ; vraisemblable superposition missionnaire sur un fonds de récits catastrophiques des hauts plateaux.

Afrique centrale (bassin du Congo)#

Nyanga (RDC) : le cycle de Mwindo.
Ce n’est pas un déluge global, mais des catastrophes aquatiques saturent l’épopée (noyades, fleuves du monde des esprits, punitions par inondation). À utiliser comme cas de contraste : proche du déluge plutôt que déluge proprement dit.

Afrique australe#

Khoïsan (Khoe/San) : les serpents de pluie peuvent inonder la terre.
Les ethnographies relèvent des croyances selon lesquelles des serpents « pourraient remplir tout le pays d’eau », situant le déluge dans une agence animale/spirituelle plutôt que dans la rétribution morale. Motif : potentiel d’inondation non cosmique ; souvent local/régional plutôt qu’universel.

Océan Indien : Madagascar (charnière austronésienne–africaine)#

Le Antananarivo Annual du XIXᵉ siècle et Sibree consignent des récits malgaches de déluge : un grand déluge envoyé par un dieu suprême (Zanahary dans les contextes merina) avec des survivants sur une montagne/pirogue, suivis d’une repopulation. Motifs : colère divine ; refuge sur les hauteurs ; resemis culturel. Probables interfaces austronésiennes plus filtres chrétiens ultérieurs.


Tableau comparatif (sélection, attestations anciennes)#

CultureAgent/Cause prochaineDispositif de survieTest par oiseauMécanisme de recommencementAttestation la plus ancienneNotes
Bamana/MandeDéluge de Faro pour réordonnerArche/bateauOrdre normatif de FaroSynthèses modernes à partir du terrain classiqueSubstrat préislamique mais enregistré tardivement ; motif de déluge de sept jours
YorùbáÒlókun inonde le mondeRituel, IfáMédiation d’Ọ̀rúnmìlà, offrandesÉtudes religieuses modernesDivinité océanique ; déluge comme discipline cosmique
Nandi/KalenjinAvertissement divin (noms du dieu suprême variables)Coffre/bateauOui (colombe dans certaines variantes)Installation sur les hauteursHollis 1909Fort recouvrement noachique ; vraisemblablement missionnaire
ÉgypteMassacre par Hathor stoppé par une crue de bièreRetrait de Rê ; cosmos réordonnéTextes de tombes du Nouvel EmpireCatastrophe sans déluge de « mer du monde »
Khoïsan (Khoe/San)Serpent de pluie pouvant remplir la terreRituel/évitementEthnologie des XIXᵉ–XXᵉ siècles et contemporaineSouvent potentiel d’inondation régionale, non universelle
MadagascarDieu suprême (Zanahary) ; cause moraleMontagne/pirogueRepeuplement ; contraintes de type allianceAntananarivo Annual ; SibreeSyncrétisme austronésien + chrétien probable

Écologie des motifs (hauts plateaux du Cameroun comme cas d’étude)#

La typologie d’Emmi Kähler-Meyer des récits de déluge des hauts plateaux camerounais documente : (1) transgression morale, (2) avertissement divin, (3) refuge sur montagne/arbre/radeau, (4) éclaireurs animaux, et (5) règles sociales post-déluge. Il s’agit d’une zone charnière sahélienne — ouverte à l’influence islamique/biblique, mais dotée d’une structure locale robuste.

Échantillon de motifs (Cameroun) :

  • Cause : irrespect/violation de tabou → déluge.
  • Refuge : montagne ou grand arbre ; parfois construction d’un vaisseau.
  • Éclaireur : oiseau (colombe/milan) revenant avec un signe de terre.
  • Après : des règles matrimoniales ou des partitions claniques dérivent des unions entre survivants.

Diffusion vs convergence (et comment éviter la surinterprétation)#

  1. Corridors de diffusion :
  • Sahel/hauts plateaux (transmission islamique, puis missions chrétiennes).
  • Hauts plateaux nilotiques (réseaux missionnaires des XIXᵉ–XXᵉ siècles).
  • Océan Indien (diaspora cultuelle yorùbá qui fait circuler les idées dans les deux sens à l’époque moderne ; flux austronésien→malgache bien plus ancien).
  1. Pressions de sélection (vraisemblance écologique) : les sociétés riveraines ritualisent le contrôle des crues saisonnières ; le passage de la crue saisonnière à la catastrophe cosmogonique n’est pas garanti (l’Égypte ritualise le Nil sans déluge noachique).

  2. Biais de collecte : les collecteurs ont cadré leurs questions à partir de Noé ; la sélection des textes surajuste les parallèles bibliques. Traiter les textes de déluge nilotiques comme syncrétiques sauf preuve solide d’un état précontact.

  3. Avertissement dogon : cosmologie hydrophile (Nommo ; réservoirs d’eau) ≠ déluge canonique. Les affirmations de cosmologie précise (par ex. lore sur Sirius) sont fortement contestées ; utiliser Apter et van Beek comme correctifs méthodologiques.


Lectures rapprochées (compressées)

Bamana/Mande : Faro et l’Arche#

Séquence centrale : débordementembarquement dans l’archedéluge temporisé (sept jours)re-création. L’arche n’est pas ici un dispositif d’alliance mais l’instrument de Faro pour imposer une taxonomie/un ordre (penser en termes de normativité hydraulique, pas seulement de punition). La signature des sept jours suggère une isochronie proche-orientale, mais la souveraineté de Faro (vs un père céleste) demeure distincte.

Yorùbá : le déluge d’Òlókun#

L’action d’Òlókun est juridictionnelle : lorsque les façonneurs de terre insultent le seigneur des profondeurs, l’océan se soulève. Le renversement est rituel-technique (Ifá), non juridico-alliantiel. Cela semble plus ancien que le syncrétisme missionnaire : cela s’insère dans la cosmogonie d’Ifẹ̀ de la terre tirée de l’eau, donnant à Òlókun un levier punitif crédible.

Nandi/Kalenjin : Tumbainot#

Les temps forts de l’intrigue sont pratiquement codés sur la Genèse : avertissement, coffre/bateau, test par oiseau, repeuplement. Le texte de Hollis est précieux comme terminus ante quem (1909), mais l’isomorphie interne avec Noé + le contexte de collecte ⇒ forte probabilité de diffusion.

Égypte : de la bière au lieu de l’océan#

La catastrophe égyptienne est idéologique plus qu’hydrologique : une miséricorde liquide enraye une violence liquide. C’est un récit de type Destructio et Temperantia proche du déluge — recommencement sans arche ni oiseau.

Logique du serpent de pluie khoïsan#

Ici, la possibilité d’inondation (par le serpent) s’inscrit dans une ontologie de magie du paysage. C’est un motif de capacité (ce que le serpent pourrait faire), pas nécessairement un recommencement unique qui fonderait l’ethnogenèse.

Déluges mêlés de Madagascar#

Les textes présentent des refuges sur les montagnes et des échappées en pirogue, cohérents avec la grammaire mythique maritime austronésienne, puis des gloses noachiques dans l’imprimé missionnaire.


Provenance & influence (annoté)#

Thème/AffirmationRégion/CultureAttestation la plus ancienneInfluence externe ?Source probablePériodeNotesSources clés
Déluge de Faro & archeBamana/MandeEthnographie classique du XXᵉ siècle, synthèses modernesPossible diffusion de motifs proche-orientaux ; noyau mandeFaroSubstrat préislamique ; enregistré à l’époque moderneDéluge de sept jours ; archeRésumé Oxford Reference ; corpus Dieterlen/Griaule
Òlókun inonde le mondeYorùbáÉtudes religieuses modernesFaible à modérée ; noyau = souveraineté aquatique yorùbáÒlókunTradition ancienne ; enregistrée à l’époque moderneRenversement rituel via IfáSynthèse savante sur les dieux fluviaux yorùbá
TumbainotNandi/KalenjinHollis 1909ForteFiltrage biblique probableÉpoque colonialeCoffre/bateau + colombeHollis (1909)
Destruction de l’humanitéÉgypteTombes du Nouvel EmpireN/AHathor-SekhmetCopies vers le XIIIᵉ s. av. n. è.Crue de bière-sang stoppant le massacreUCLA UEE ; synthèses
Inondation par serpent de pluieKhoïsanEthnographie des XIXᵉ–XXᵉ siècles ; synthèses modernesN/AÊtres serpent/pluieTraditionnelDéluge comme capacité, non cosmogonieArticle Arts (MDPI)
Déluges malgachesMadagascarImprimé missionnaire du XIXᵉ siècleForte influence austronésienne + chrétienneZanahary/autresArchives du XIXᵉ siècleRefuge montagne/pirogueAntananarivo Annual ; Sibree

Ce que cela suggère (en bref)#

  • La rareté est réelle, mais ce n’est pas une absence : là où les déluges africains apparaissent, ils sont enchâssés dans des théologies hydrologiques locales (souveraineté de la mer/du fleuve) ou dans des gabarits narratifs d’époque missionnaire.
  • La substitution de motifs est fréquente : l’Égypte remplace le déluge océanique par une crue de bière comme frein miséricordieux — toujours une catastrophe liquide.
  • Le syncrétisme n’est pas une insulte — c’est un signal : les récits de déluge nilotiques sont d’excellentes données pour l’étude des dynamiques de diffusion.

FAQ#

Q1. Le « Livre de la Vache céleste » égyptien est-il vraiment un mythe de déluge ?
R. Pas strictement ; c’est une catastrophe par liquide (bière teintée de rouge) qui arrête l’anéantissement, jouant le même rôle de recommencement que les déluges ailleurs — donc proche du déluge, mais pas un déluge classique.

Q2. Quel déluge africain est le plus probablement précontact ?
R. Faro (Bamana/Mande) et Òlókun (Yorùbá) semblent indigènes dans leur structure/agence ; Tumbainot porte presque sûrement une superposition du gabarit noachique.

Q3. Les Khoïsan ont-ils une histoire de type Noé ?
R. Autant que l’on puisse en juger, non, pas de récit canonique d’arche ; ils attribuent de puissantes agences d’inondation aux serpents de pluie, conçues comme puissance du paysage plutôt que comme recommencement total.

Q4. Les déluges malgaches sont-ils « austronésiens » ?
R. Probablement mixtes : grammaires austronésiennes de tempête/déluge plus rédaction missionnaire ; le refuge montagne/bateau est frappant.


Notes#


Sources#

Synthèses centrales & mises en garde

  • Dundes, Alan (éd.). The Flood Myth. University of California Press, 1988. UC Press catalog
  • Kähler-Meyer, Emmi. « Myth Motifs in Flood Stories from the Grassland of Cameroon. » In Dundes (éd.), 1988, 249–259. WorldCat volume record
  • Apter, Andrew. « Griaule’s Legacy: Rethinking ’la parole claire’ in Dogon Studies. » Cahiers d’Études Africaines (prépublication PDF, 2023). OpenEdition journal
  • van Beek, W. E. A. « Haunting Griaule: Experiences from the Restudy of the Dogon. » JSTOR stable page

Sources primaires/anciennes ou canoniques

  • Hollis, A. C. The Nandi, Their Language and Folk-Lore. Oxford : Clarendon, 1909. Internet Archive
  • UCLA Encyclopedia of Egyptology : « Myth of the Heavenly Cow. » UEE portal
  • Book of the Heavenly Cow (vue d’ensemble et bibliographie). UCL Digital Egypt
  • Sibree, James. Madagascar before the Conquest (1896). Internet Archive
  • Antananarivo Annual and Madagascar Magazine (plusieurs vol., XIXᵉ s. ; récits de déluge). Internet Archive search

Synthèses thématiques

  • « Faro and the Albino Twins » (Oxford Reference) – synopsis concis du déluge de Faro. Oxford Reference
  • Synthèse savante sur les dieux fluviaux yorùbá mentionnant l’épisode du déluge d’Òlókun. Britannica: Olokun

Citations web pour vérification (cliquables) :